La page que tu es

Sur ton corps et sur ton visage,

je lis toute ton histoire,

celle que tu as oubliée

au fil des années,

tous ces signes qui montrent que tu as vécu

des choses dont tu ne te souviens plus,

comme, par exemple,

la clarté de ce regard bien éclos

propre aux yeux de ton père ( mon grand-père ),

des yeux très bleus

qui parlaient fermement et en silence de ce qui était important.

Ces fins sillons autour de tes paupières

creusés doucement car tu avais l’habitude d’affûter tranquillement ce même regard

sur ce que tu convoitais,

je les ai toujours connus.

Je retrouve aussi sur ta bouche cette moue d’enfant capricieuse

dont on disait qu’elle n’avait jamais assez.

Sur ton poignet, il est la cicatrice d’une brûlure au fer à repasser ;

entre tes doigts, des callosités à force d’avoir sarclé le jardin.

Quand tu retrousses la manche de ton chemisier, je vois que tu as une profonde marque sur ton bras.

Je me souviens, on me l’a raconté :

ta chute en vélo au village de Chaudeney, l’entaille sur la pierre et les gouttes de sang dans la terre. La trace à jamais muette des cris aigus que tu as poussés avant que ton père (mon grand-père) ne vienne te ramasser.

Et il y a, lorsque tu me tournes le dos dans la lumière, cette tache de naissance sur ta nuque,

rose brune éclatée, commune à ta soeur (ma mère) et à moi.

Pas de doute : j’appartiens à cette famille dont tu viens

et qui t’est désormais étrangère.

Même si ton passé est devenu illisible pour ta mémoire,

tu es une page d’histoire qui me rappelle qui je suis.

Géraldine Andrée

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