Ton bonnet de nuit

Il est dix-sept heures.

Tes deux soeurs (ma mère, ma tante) et moi-même assistons à ton coucher comme autrefois pour les reines.

Tu as revêtu ta chemise à fleurs et ton bonnet de nuit d’un autre âge, que tu utilisais aussi au temps où tu te lavais encore les cheveux, pour recouvrir tes bigoudis.

Tu ne te préoccupes pas de nous. Sous ta lampe de chevet, tu feuillettes un vieux magazine que tu as récupéré dans une poubelle.

J’entends alors ma mère prononcer cette phrase :

-Tu es mignonne avec ton bonnet  !

J’y décèle le ton de la complicité feue de jadis, qui a gardé une seule lueur susceptible de crépiter sous le froid des ans, des brouilles, des rivalités et des longues séparations – l’étincelle de votre enfance d’avant mon enfance, celle qui m’est inconnue mais dont je deviens à mon insu l’imaginaire témoin :

les sauts dans le lit, les confidences au coeur de la nuit, la lampe allumée sous le drap, les lectures clandestines des revues où l’on voit se déhancher Brigitte Bardot, les batailles d’oreiller, les disputes et les pleurs jusqu’à ce que votre père arrive et vous flanque une bonne correction, plus tard les rêveries sur les gars, la jalousie secrète puis le silence enveloppant le premier baiser qu’on ne partage pas.

Que de pensées communes et inavouées à l’heure où vous mettiez vos bonnets de nuit!

Tu ne réponds pas à ce compliment. Tu fais la moue. Tu as gardé l’habitude de bouder. On ne sait pas pourquoi.  C’est une marque de coquetterie, je crois.

Assurément, tu es une vieille petite fille. D’ailleurs, comme les petites filles, tu dois dormir longtemps.

Alors, on te laisse. On ferme la porte.

Le soleil brille dehors, inonde les arbres et les trottoirs.

C’est un temps à converser pour  retrouver la mémoire.

Mais quand tu te coiffes de ton bonnet de nuit, il est trop tard.

Géraldine Andrée 

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