Archives pour la catégorie Journal de la lumière

La flamme bleue

Cette flamme
bleue
auprès de laquelle
reviennent
les ailes
d’un très vieil
été,
les voix
des histoires
anciennes,
les ombres
blanches
des enfants
quand
leurs jeux
s’achèvent,
les visages
des feus
aïeux
dont les yeux
connaissent
mon âme,
les étincelles
des tasses
chinoises
sorties
de la crédence
et les instants
où un sourire
s’attarde,

cette flamme
si frêle
qui, à mesure
que je descends
dans le silence
de la page,
s’élève
dans un indicible
murmure,

c’est
le Poème.

Géraldine Andrée

Sans titre

Prendre
le train
de bon
matin

vers la tendre
lumière
du Sud,
c’est cela,

Pardonner.

Géraldine Andrée

Le bout du fil

L’enfance de ma mère, c’est

le tandem d’acier gris conduit avec sa sœur qui traverse le village comme du vif-argent,

le champ d’avoine folle,

l’ombre du marronnier sur le banc de l’école,

les mirabelles récoltées dans le grand verger,

le fil qui court tandis que la lumière éclaire les fleurs de la nappe et voici la première robe,

la vague qui s’annonce dans le coquillage posé contre l’oreille,

les bottes dans la flaque de pluie,

la craie de la marelle,

l’épais manteau de laine quand les matins sont si froids que le givre aux branches est bleu,

le magazine Mode feuilleté pendant la sieste,

les aiguilles brillantes du temps qu’elle tricote pour qu’il soit à sa taille,

les longs cheveux dans le miroir.

J’aime penser parfois

qu’alors que je n’existais pas encore,

j’ai été dans la vie de ma mère

l’éclat de l’acier,

le souffle du vent dans le champ d’avoine,

une feuille de marronnier sur son épaule d’écolière,

une mirabelle fendue qu’elle mange en cachette,

la vague qui envahit le coquillage de son oreille,

une étoile de pluie sur le cuir de ses bottes,

le mot Ciel entouré,

la laine protégeant son cou,

une page de ce magazine qu’elle froisse en guise de signet,

ses yeux sur sa taille qui s’affine – mais n’est-ce pas le temps qui grandit ? -,

le miroir qui la voit se sourire au moment où elle se coiffe.

J’aime penser

qu’alors que je ne viendrais pas au monde avant de longues années,

j’ai été

un minuscule bout du fil de la vie de ma mère

quand elle ouvrait le col de sa robe

pour regarder danser le jardin

avec la lumière.

Géraldine Andrée

Les derniers beaux jours

Ce sont les derniers beaux jours
Certes l’on s’attarde
sur la terrasse
avec un livre
et une tasse

Mais une feuille
traverse
la brise
ne laissant
pour seule

trace
que les points
rouges
d’un feu
follet

vite
disparus
pour l’œil
qui les cherche
encore

telle la suite
d’une phrase
effacée
qu’il faudrait pourtant
continuer

Du passage
de la vive
lumière
d’août
il ne reste

qu’une dentelle
de jeune fille
que les aiguilles
des branches
déchirent

Une aile
frétille
avant de prendre
son envol
de la corolle

et sur le chemin
qui nous vient
du jardin
les ombres
se rassemblent

puis avancent
dans une conversation
muette
qui trouble
le cœur

Alors
on raccompagne
l’Ami
pour lequel
dans un ultime

rayon
de soleil
on ouvre
la grille
en lui disant

d’une voix
qui tremble
À demain
sans en être
certain

bien que l’on ajoute
ces deux mots
fragiles
comme
des libellules

au signe
que fera longtemps
de loin
la paume
de la main

Géraldine Andrée

Les lieux qui comptent le plus à mes yeux

Les deux amants

Le silence et la poésie
sont amants
Tout comme
l’amant
le plus tendre
rend l’âme
de l’amante
rayonnante
le silence
allume
des lampes
sur le passage
de la poésie
qui irradie
pour nous
tous

Le silence
écoute
ce que la poésie
lui confie

le point d’une source quelque part
la cascade de notes d’un oiseau
le chemin qui craque sous les pas comme un sablé chaud
le ballet des lumières de l’aube
le tintement de la cloche de cinq heures
le bourdonnement du sang quand la porte s’ouvre
le souffle du chien revenu
les ailes d’une libellule
minuscule virgule
suspendue un instant
sur la phrase du soleil
le vent qui tourne les feuilles
du châtaignier

Et la poésie
rend grâce
au silence
qu’elle accueille
dans l’étoile
de son chant

Que ce recueil
soit l’enfant
de leurs noces

Géraldine Andrée
Extrait du recueil poétique à paraître
Le Bleu de menthe du silence

Le Poème

Les hommes croient les poèmes si lointains
qu’ils les oublient
éclats d’étoiles mortes
Mais le Poème est
cette lampe de chevet allumée lors d’une mauvaise grippe
la décoration de Noël dans la vitrine
les pattes d’un faon dans la neige
le pain chaud sorti du four
une tarte aux myrtilles
la première vague des vacances
le peigne d’ébène dans les cheveux
les noix de cajou près de la théière
le dernier slow avant que les lumières ne s’éteignent
les bras de l’amant autour des hanches
l’étreinte jusqu’à la lueur blanche
un cahier dont les pages ont l’odeur des draps neufs
les volutes de la sauge qui brûle
un bain sous la lune
le jardin qui tremble de toutes ses feuilles dans le rétroviseur
un peu de miel quand tu as beaucoup pleuré
la guitare dont les cordes vibrent comme lorsque tu étais enfant
le collant aux reflets de moire que tu enfiles pour ce rendez-vous
la mousse du cappuccino que l’ami t’offre avec un sourire
un timbre ancien comme si le temps t’envoyait des nouvelles de l’aïeul perdu
un micro qui te donne enfin le droit de faire entendre ta voix
Le poème c’est Toi c’est Moi c’est l’Autre
Le rythme de chaque cœur qui bat sur cette terre
L’infini qui touche le monde
Et lorsque Dieu me paraît bien lointain
dans sa demeure profonde
je remplace le nom Dieu par le mot Poème
et voilà Dieu écrit
par la grâce de ma main

Géraldine Andrée

L’arbre

Le sais-tu
Tu t’es assez repue
de ma sève
pour nourrir
tes rêves
de cimes

Mais j’ai confiance
en ma force
de résilience
Toutes
ces larmes
que tu as fait naître

pour que tu y trempes
tes lèvres
me montrent
dans leurs étincelles
l’abondance
de ma récolte

Je suis devenue
riche
de ma capacité
à grandir
toujours plus
vers le ciel

poussée
par le désir
de dépasser
ton ombre
qui me serre
encore

Géraldine Andrée

Robe de fête

Décidément
elle n’est pas
de cette famille
qui l’ignore

Et en pleurant
encore
elle s’éloigne
à petits pas

sur la route
noire
dans sa robe
de moire

sa robe
faite
pour les instants
scintillants

sa robe
de fête
qui se soulève
quand elle se tord

un peu
les chevilles
sur ce sentier
escarpé

qui malmène
ses talons
hauts
Puis elle se surprend

à sourire
à travers
ses sanglots
Alors

qu’elle s’est donné
tant de peine
pour briller
à la table

ce sont les étoiles
qui sont devenues
désormais
ses paillettes

Géraldine Andrée

Photo de Jonathan Borba sur Pexels.com

Sois fidèle à toi-m’aime, surtout quand on te renie !