Archives pour la catégorie Réincarnation

L’ancien pays

La vie
me fait présent
de revenir
en rêve
dans l’ancien pays
que j’ai oublié
depuis
que je suis née
et que pourtant
je porte en moi

et que je berce
à mon réveil
tel un éternel
nouveau-né
avec ma plume
dans les langes
blancs
des pages
de mon cahier
de poèmes

Tous ses soleils
et ses lacs
brillent
dans ma mémoire
Pour les yeux
des girafes
et pour les feuilles
des figuiers
je suis
parfaite

Qu’importent
tous mes échecs
et toutes mes pertes
en cette vie
qu’importe si orpheline
que je suis devenue
je suis encore
en quête
d’un signe
de mon père
ou de ma mère

Je retrouve
la rue
africaine
que j’ai si souvent
parcourue
en tant qu’enfant
presque
nue
cette rue
bruissante

étincelante
où les voix
sont des soleils
qui dansent
sur les fruits
où le pagne
doré
de ma grand-mère
sèche
mes paupières

Alors je vois
que mon âme
est un grand
lac
qui reflète
la savane
de mes rêves
à parcourir
d’ici
à maintenant

Géraldine Andrée

Le bout du fil

L’enfance de ma mère, c’est

le tandem d’acier gris conduit avec sa sœur qui traverse le village comme du vif-argent,

le champ d’avoine folle,

l’ombre du marronnier sur le banc de l’école,

les mirabelles récoltées dans le grand verger,

le fil qui court tandis que la lumière éclaire les fleurs de la nappe et voici la première robe,

la vague qui s’annonce dans le coquillage posé contre l’oreille,

les bottes dans la flaque de pluie,

la craie de la marelle,

l’épais manteau de laine quand les matins sont si froids que le givre aux branches est bleu,

le magazine Mode feuilleté pendant la sieste,

les aiguilles brillantes du temps qu’elle tricote pour qu’il soit à sa taille,

les longs cheveux dans le miroir.

J’aime penser parfois

qu’alors que je n’existais pas encore,

j’ai été dans la vie de ma mère

l’éclat de l’acier,

le souffle du vent dans le champ d’avoine,

une feuille de marronnier sur son épaule d’écolière,

une mirabelle fendue qu’elle mange en cachette,

la vague qui envahit le coquillage de son oreille,

une étoile de pluie sur le cuir de ses bottes,

le mot Ciel entouré,

la laine protégeant son cou,

une page de ce magazine qu’elle froisse en guise de signet,

ses yeux sur sa taille qui s’affine – mais n’est-ce pas le temps qui grandit ? -,

le miroir qui la voit se sourire au moment où elle se coiffe.

J’aime penser

qu’alors que je ne viendrais pas au monde avant de longues années,

j’ai été

un minuscule bout du fil de la vie de ma mère

quand elle ouvrait le col de sa robe

pour regarder danser le jardin

avec la lumière.

Géraldine Andrée

La feuille du jardin

La maison ouvrira encore
ses persiennes
C’est sûr et certain
Je vois déjà

la scène
par un clair
matin
de juin

Tu arrives
au bout du chemin
quand la main
fine

de la servante
d’autrefois
décroche
la chaînette

qui te fait signe
en scintillant
au soleil
Et voici

la vive
lumière
des roses
trémières

qui entre
dans la chambre
et entoure
la corolle de la lampe

Les notes
des oiseaux
constellent
le plafond

de plâtre
gris
comme un ciel
de beau temps

L’aile
d’une senteur
de lavande
se glisse

dans l’échancrure
en dentelle
de la chemise
qui attend

bras écartés
que tu lui confies
tes épaules
d’enfant

Même la mésange
brodée
promet
de faire éclater

dans le silence
du tapis persan
l’aurore
de son chant

N’éprouve
pas de peine
si en cherchant
le journal

intime
de celle que tu fus
tu ne trouves
que des tiroirs vides

car un autre
cahier
s’est ouvert
dans la chambre

ce jardin
qui t’accueille
avec une telle
bienveillance

que tu deviens
l’une
de ses feuilles
qui palpite

en se tournant
doucement

Géraldine Andrée

Revenir

Alors, mon rêve m’a fait revenir dans la maison où je séjournais jadis, juste avant ma naissance.
J’ai reconnu la lumière blanche d’un beau dimanche qui enroulait ses soleils dans la corbeille, les reflets de la faïence, le pain blond coupé en tranches et parmi toutes les fleurs de ma vie, l’Unique – celle qui luit.
J’ai reconnu surtout mon journal intime, trop tôt abandonné mais ouvert comme une fenêtre et dont la corolle du premier mot guidait mes yeux
vers la Vérité.

Géraldine Andrée

Sans titre

Tu es parti
Je le sais
au poème
que tu m’as laissé
comme trace
ultime
et qui me mène
jusqu’au tout
premier
signe

cette corolle
de lumière
que ton souffle
enfin
uni
à la brise
semble
déposer
sur la vitre
de la chambre

Géraldine Andrée

Ton pas

J’entends
ton pas
qui s’en va
dans la nuit,
mon ami,

le sentier
qui crépite
sous tes sandales
jusqu’à la grille,
tel

une flamme
de bougie,
puis
ces pétales
de silence

qui palpitent
en tombant
des étoiles,
seules
traces

invisibles
pour la mortelle
que je suis
mais qui guideront
ton retour

dans la prochaine
vie.

Géraldine Andrée

Le jardin d’un rêve

Alors que ta chair s’est mêlée à la terre
depuis le mois de novembre,
comment est-ce possible
que tu te tiennes debout dans le jardin,
vêtu de ta chemise blanche
et de ta cravate des grands jours ?

Alors que le jardin a disparu
sous la pelleteuse,
comment est-ce possible
que les feuilles bourdonnent
et que les lilas rayonnent
en mille soleils bleus ?

Là où il n’y a d’ordinaire
que le bitume,
une coccinelle se promène
et monte
le long de la lumière
pour y unir ses ailes…

Et pourtant, c’est possible
puisque je t’entends me répondre
dans un silence
parfaitement clair
où se mire
ton sourire :

Tu sais très bien
que tout rêve est réel,
quelque part
dans l’univers.
J’en ai la preuve
par la cloche

qui sonne
dans le tableau
de ce poème
l’heure étincelante
d’un éternel
dimanche.

Géraldine Andrée

Photo de Pixabay

Le cahier du jardin

En cheminant

patiemment

de feuille

en feuille

pour que chaque mot

puisse éclore

dans un pétale

d’encre,

en accrochant

une note

tout en haut

de l’allée

que m’offre

la marge

comme si c’était

une note d’oiseau

et en disposant

les quatrains

de mon poème

de chaque côté

de la page,

tels les battants

d’une fenêtre

ouverte,

j’ai fait en sorte

que l’ancien jardin

devienne ce cahier

qui tient

tout entier

dans ma main.

Géraldine Andrée

L’hôtel de la baie

Il brille dans la nuit,
de toutes ses lettres dorées,
L’hôtel de la baie.
Je décline mon nom à la réception
et pour le prouver,
je commence à sortir de ma poche,
ma carte d’identité,
mais la tenancière aux cheveux blonds
me dit :
-Pas la peine ! Puisque vous avez fait une réservation
et que vous avez déjà payé en ligne,
on vous connaît !
Elle me remet une clé argentée
qui égrène ses notes
dans mes mains.
La chambre est au dixième étage,
« presque à la hauteur des nuages »
me chuchote
mon esprit
dans une sorte
de songe éveillé.
L’ascenseur s’élève
dans un long silence
et c’est comme si je montais
vers un rêve.
Je dépose mes bagages
sur la moquette aux flocons de mousse,
et je vois la flamme rousse
d’un bouquet de roses
qui veillera sur mon sommeil,
ainsi que des pommes vermeilles
dans une coupelle.
À la tête de mon lit,
est accrochée une carte
des constellations.
Une porte-fenêtre
s’ouvre sur le souffle
de l’océan bien noir,
ce soir.
Le dîner m’attend au rez-de-chaussée.
Je revêts ma robe aux reflets de moire
et au moment d’apparaître
dans la vaste salle
éclairée par un candélabre
à cinquante étoiles,
je retrouve autour de la table
tous mes amis et parents
feus
qui m’accueillent
avec le sourire
dans les yeux.
Il y a là
Berthe, Claire, Joséphine, Esther, Guy, Claude, Maria.
Je ne sais lequel d’entre eux
me sert du vin doux
et me dit :
-C’est bon pour l’âme !
Tout ce que je sais,
c’est que les lueurs
du phare de la baie
clignotent
entre chaque mot
de retrouvailles :
-Eh bien ! Nous voici réunis
pour une nuit d’éternité !
Certes, aujourd’hui, il est trop tard
mais demain matin,
le temps sera si bleu
que nous pourrons nous promener
ensemble
au bord de la jetée.

Géraldine Andrée

La bibliothèque municipale

Ce que je regrette le plus, c’est la bibliothèque municipale,
les vieux livres épuisés que l’on ne trouve nulle part ailleurs, dont la reliure toute piquetée de taches de rousseur s’effeuille en exhalant l’odeur des chemins d’automne,
ces murmures, ces bruissements de pages pendant qu’il me semble que j’avance dans de l’ouate,
ces étagères de vies rêvées ou vécues.

Dans mon souvenir, il me suffit de tendre la main assez haut
pour rencontrer un personnage qui me ressemble.
Retrouverai-je un jour ce silence vivant entre les mots ?
Je ne sais.

Peut-être retournerai-je à la bibliothèque municipale dans une autre vie,
et peut-être me réincarnerai-je uniquement pour me rendre à la bibliothèque municipale,
le sac en bandoulière,
le col un peu ouvert
par une tiède après-midi de septembre,
tandis que la lumière d’ambre sur le banc d’un jardin quelconque attendra patiemment d’entourer les titres des histoires que j’aurai choisies.

Je n’aurai alors plus souvenance
que dans une vie précédente,
il m’était interdit de me rendre à la bibliothèque municipale.

Peut-être éprouverai-je tout juste un pincement au cœur
quand j’en franchirai le seuil,
un pincement vite oublié
pour un livre qui m’accueillera
comme une corolle.

Géraldine Andrée

Photo de Element5 Digital