En cette veille de Toussaint où la nuit est plus longue, je voudrais vous parler du travail du deuil.
Le deuil fait partie de la vie. Beaucoup diront que c’est un stéréotype mais si les stéréotypes demeurent – ce qui fait leur définition -, c’est parce qu’ils atteignent une vérité universelle.
La vie se compose donc de multiples deuils. Quand on fait le pari de vivre, quand on avance pas à pas dans notre existence, on vit de multiples deuils, minimes aux yeux de certains mais qui prennent beaucoup d’importance dans le coeur de celui qui subit la perte : l’enfant qui égare, par exemple, sa poupée préférée ou qui rate un dessin en posant une couleur au mauvais endroit ou en faisant couler son feutre, la femme qui doit se séparer de son bijou le plus précieux…
Il est des deuils qui marquent une vie : ceux relatifs au décès d’un animal ou d’un être cher. Quand ce proche s’en va, passe de l’autre côté, nous aussi accomplissons un passage et mourons. La vie est ainsi faite de petites morts.
Je n’aime pas – et je ne suis pas la seule – l’expression « faire son deuil ». Cette expression est très discutée par certains psychologues. En effet, quand on se retrouve en plein deuil, on est incapable d’agir, « de faire » ; on éprouve un état de passivité extrême, de dépression. On a plus envie de dormir, de rester dans la solitude et le silence que de « faire » quoi que ce soit.
Le travail du deuil n’est pas fait par nous-mêmes. C’est le temps qui fait ce travail à notre place. En avançant de mois en mois, de jour en jour, d’année en année, on s’habitue à l’absence de l’autre.
Le temps par l’alternance des cycles qu’il nous fait vivre – floraison, récolte, fenaison -, permet au processus du deuil de s’accomplir en nous, qu’on le veuille ou non. Pourquoi ? Parce que l’on vit et que le temps nous entraîne tout naturellement sur la pente des jours.
Pourtant, ce n’est pas parce que ce processus s’accomplit naturellement qu’il nous exempte de la douleur. Les saisons, qui sont des anniversaires du décès, accentuent le sentiment de vide et d’identité volée avec le départ de l’être cher. La saison la plus douloureuse est celle de Noël car on est confronté à la chaise vide, à l’assiette en moins, au regard enfui, au rire que l’on n’entendra plus… Or, cette fête s’intègre aussi dans le processus du temps.
Il est dit que le travail du deuil dure un an. Il dure souvent plus. Il est essentiel de ne pas être exigeant envers soi-même et de laisser le temps faire les choses à notre place.
Et, un beau jour, en vivant instant après instant, heure après heure, jour après jour, on découvre qu’on est davantage dans le présent, qu’on vit le jour d’aujourd’hui et qu’on s’éloigne en pensée et en sentiment du traumatisme de la perte.
Quand on s’aperçoit que l’on songe un peu moins à l’être perdu, on a tendance à se culpabiliser et à se dire :
-Je l’éloigne davantage de moi en ne pensant plus à lui/elle.
Et on se force à penser encore plus fort à l’autre comme pour le retenir.
Cependant, cet éloignement que l’on jure à tort comme une « trahison » contribue au lâcher-prise, au détachement qui ne sont pas des preuves d’indifférence, mais de paix retrouvée.
On fait la paix avec la vie qui nous a privés de l’autre, avec sa propre colère – car on en veut à la personne d’être partie, de nous avoir « abandonnés ».
Là est le paradoxe : c’est dans cet éloignement paisible que l’on renoue avec la personne décédée.
Quand on est arrivé au bout du chemin du deuil, des manifestations du défunt peuvent se produire. Beaucoup de témoignages abondent en ce sens : écriture automatique, messages reçus en rêve, un parfum qui passe, soudain, et avec lequel la personne chère se vaporisait le cou le matin, un livre qui tombe d’une étagère de la bibliothèque et qui a été beaucoup lu par le/la disparu(e).
Lorsqu’on s’éloigne de son chagrin, on retrouve le défunt vivant en soi, dans sa pensée, sa mémoire certes, mais aussi dans la certitude que l’on a franchi une ligne invisible qui permet une conversation intime avec l’absent(e).
Bien sûr, cela ne se fait pas tout de suite. La vie a ses lois, son rythme étrangers au culte de la rapidité qu’exalte notre société. Elle nous exerce ainsi à la patience et à la confiance en la marche du Temps.
Le deuil n’est pas un travail que l’on fait soi, c’est le consentement à laisser le Temps tracer son chemin en soi.
Cette épreuve du deuil nous concerne tous, tôt ou tard.
Elle nous apprend la foi dans l’oeuvre des saisons.
On voit les fleurs fleurir et les feuilles pousser parce que l’on est passé par la saison du sommeil de la terre.
Le deuil nous permet de goûter à nouveau à la vie une fois que l’on a permis au Temps de cheminer en soi.
Le deuil n’est pas un travail, non, c’est une alchimie de l’âme, opérée par le rythme des jours, et qui nous rend plus vivants qu’avant.
Géraldine Andrée
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