Archives pour la catégorie Songe

La flamme bleue

Cette flamme
bleue
auprès de laquelle
reviennent
les ailes
d’un très vieil
été,
les voix
des histoires
anciennes,
les ombres
blanches
des enfants
quand
leurs jeux
s’achèvent,
les visages
des feus
aïeux
dont les yeux
connaissent
mon âme,
les étincelles
des tasses
chinoises
sorties
de la crédence
et les instants
où un sourire
s’attarde,

cette flamme
si frêle
qui, à mesure
que je descends
dans le silence
de la page,
s’élève
dans un indicible
murmure,

c’est
le Poème.

Géraldine Andrée

La feuille du jardin

La maison ouvrira encore
ses persiennes
C’est sûr et certain
Je vois déjà

la scène
par un clair
matin
de juin

Tu arrives
au bout du chemin
quand la main
fine

de la servante
d’autrefois
décroche
la chaînette

qui te fait signe
en scintillant
au soleil
Et voici

la vive
lumière
des roses
trémières

qui entre
dans la chambre
et entoure
la corolle de la lampe

Les notes
des oiseaux
constellent
le plafond

de plâtre
gris
comme un ciel
de beau temps

L’aile
d’une senteur
de lavande
se glisse

dans l’échancrure
en dentelle
de la chemise
qui attend

bras écartés
que tu lui confies
tes épaules
d’enfant

Même la mésange
brodée
promet
de faire éclater

dans le silence
du tapis persan
l’aurore
de son chant

N’éprouve
pas de peine
si en cherchant
le journal

intime
de celle que tu fus
tu ne trouves
que des tiroirs vides

car un autre
cahier
s’est ouvert
dans la chambre

ce jardin
qui t’accueille
avec une telle
bienveillance

que tu deviens
l’une
de ses feuilles
qui palpite

en se tournant
doucement

Géraldine Andrée

Les lieux qui comptent le plus à mes yeux

Elle voulait posséder tout le bleu

Elle voulait posséder tout le bleu

le bleu du monde quand le ciel semble y descendre
le bleu de l’océan sous la terrasse blanche
le bleu des paupières à la naissance
le bleu de la lavande de Provence
le bleu du thym et de la menthe
entre lesquels le sentier s’avance
le bleu des nuits que la fièvre rend ardentes
le bleu d’un beau jour de dimanche
le bleu des cierges dans l’ombre
le bleu des reflets de l’âme lorsque le temps change
comme à travers un miroir qu’une main divine vous tend
le bleu du cri de l’amant
le bleu des ecchymoses contre la bicyclette de l’enfance
le bleu d’une robe qui danse
à la lisière de la forêt d’Amance
ne serait-ce pas celle d’Hortense
qui est pourtant morte depuis longtemps

Mais elle ne pouvait contenir ce bleu immense
entre ses frontières humaines
Son esprit
n’était qu’un tout petit
pays

Alors elle a rempli l’encrier
d’une encre outremer
pour faire de son poème
une embouchure
vers le bleu qui attend
qu’elle s’y baigne
une fois qu’elle aura atteint
ce point
qui s’enfonce
dans l’infini

Géraldine Andrée

Mon futur projet de voyage

Proposition quotidienne de rédaction
Quels sont vos futurs projets de voyage ?

Aller à Jérusalem pour écouter un concert d’Idan Raichel sous les étoiles, dans la nuit toute bleue, en tenant la main de mon amoureux.

Je vois déjà le couloir de céramique blanche menant à la chambre qui donne sur les ruelles enchevêtrées du quartier chrétien, la verrière que l’on traverse, ornée de plantes grimpantes et le cœur d’or d’une lampe qui brille, non loin du lit.

Je vois déjà ma valise défaite : je me penche par la fenêtre pour récolter les éclats d’une ville qui bruit, juste avant de revêtir ma robe de soirée.

Je note toujours mes rêves les dimanches dans la matinée

car il paraît que c’est ainsi que l’on peut les réaliser dans l’année.

Géraldine Andrée

Symphonie

J’ai tourné la page
et le jardin
de mon enfance
a chanté
avec toute sa gamme
de feuilles
dans mon regard

Géraldine Andrée

Le laurier-rose

Elle a gardé du jardin
de son enfance
disparue

ce laurier-rose
en pot
qu’elle arrose

chaque matin
et qui le soir
incendie

la rambarde
de sa terrasse
comme s’il était

la corolle
du crépuscule
Elle se penche

sur lui
tous les jours
car elle sait

désormais
que seuls
les quelques

cœurs
minuscules
qui éclatent

en cent couleurs
dans le pot
de terre

sont devenus
le jardin
de son enfance

Géraldine Andrée

Le panier de cerises bleues

Je songe à mon enfance
Et je me revois me réveillant
ouvrant les yeux sur le merveilleux panier de cerises
que tu avais déposé non loin de la porte de ma chambre

Le panier est vide aujourd’hui
Il n’y aura plus de cueillette
car tu es parti pour une seule saison
celle des cerises éternelles

Mais lorsque je ferme les yeux
il m’arrive de recevoir de l’Univers un panier
de cerises bleues
un poème

que je dépose sur le seuil
de la porte d’une autre chambre
la marge blanche de mon journal intime
juste avant de célébrer ce que contient

le panier de mon cœur

Géraldine Andrée

Le jardin de la mémoire

Chacun de nous garde en mémoire un jardin.

Jardin d’enfance, jardin d’une maison de vacances, jardin ouvrier où l’on fait sa petite récolte un dimanche.

Qui n’a jamais goûté une sieste sous son arbre préféré, contemplé l’éclosion d’un laurier-rose, suivi le chat parmi les herbes hautes, ramassé des fruits pour en remplir son panier, mangé des pommes ou des reines-claudes lors d’un pique-nique organisé en fraude ?

Mais voilà ! Nous sommes toujours obligés de sortir du jardin.

Parce qu’il faut aller à l’école, partir travailler, gagner sa vie.

Parce que la maison sera vendue, que le crédit doit être remboursé, que la mairie veut remplacer le verger par un parking.

La mémoire d’un jardin est teintée de nostalgie pour toute la vie.

Chacun se sent exilé d’un jardin qu’il a bien connu, de son jardin qu’il pensait posséder ou d’un jardin collectif à jamais perdu, et donc métamorphosé en mythe (comme, par exemple, le jardin d’Éden d’où l’homme originel a été chassé).

Est-ce que les jardins existent pour qu’on les regrette, qu’on les pleure, qu’on les quitte ? Peut-être…

Je crois que durant tout le temps de notre vie, nous cherchons le jardin initial.

Et nous le retrouvons souvent, en créant – une musique, un livre, un tableau, un film où il est uniquement question de lui, le jardin-refuge…

Certaines séances de méditation nous invitent à entrer en notre songe en imaginant une source, un feuillage, un sentier qui, si nous l’empruntons au rythme de notre souffle, nous emmène… vers nous-mêmes.

Car c’est ainsi : je crois que les jardins les plus merveilleux ne sont pas à l’extérieur de nous mais qu’ils respirent, bien vivants, en nous.

Les jardins existent pour nous montrer que nous sommes tous sur cette terre un jardin.

Alors, ouvrons nos grilles au pas du promeneur qui vient !

Géraldine Andrée

Le collier du poème

En avançant vers mon rêve,

je croyais le poème clos.

Je me sentais libre

de le laisser reposer

dans le fond noir

de ma mémoire

et de partir en quête

d’autres richesses.

Mais un vers a soudain sautillé,

tel le collier

qu’une fillette espiègle

aurait délié

et dont les perles

vermeilles

se seraient délivrées,

avant de danser plus loin.

Craignant à mon réveil

de perdre

à jamais ce trésor

aux lisières du silence,

je me souviens avoir saisi

avec la puissance de ma foi

la perle la plus éclatante,

celle de la rime,

pour que le vers ultime

qui se déroberait

à tout instant

si je l’abandonnais

dans le voyage de mon rêve,

me ramène

au frêle fil du poème

lorsque tinterait

la première note

du collier de lumière

que porte

l’aurore.

Géraldine Andrée