Archives pour la catégorie Méditation

Le jardin conspire

Quand j’écris dans le jardin de mon enfance,
toute l’enfance du jardin
conspire à ce que j’écrive.

Le soleil fait sa ronde autour de ma main.
La fourmi franchit les marges de mon cahier,
me montrant comment être libre.

Les feuilles du vieux tremble
conversent toutes ensemble ;
leurs voix sur ma page déposent leurs ombres d’or.

Le pétale d’un silence virevolte entre mes mots,
ces roses d’encre,
qui ont attendu que je me penche.

Et la paume de Dieu au-delà du jardin
accomplit dans le jardin de l’univers
un autre miracle :

des semis d’étoiles,
des floraisons de météores,
des récoltes de nébuleuses bleues.

Tout le cosmos
vibre, bourdonne, palpite
tandis que se crée

la constellation d’un poème
autour de la petite planète
qu’est ma main de fillette.

Géraldine Andrée

Un recueil de poèmes

Je sais un recueil de poèmes que j’ai écrits et reliés seulement pour moi-même, après mon voyage dans le désert.

Un recueil de poèmes qui dit ma traversée du vent et de la lumière.

Un recueil de poèmes dont les frêles vers sur la page me rappellent la trace dérisoire de mon passage dans le sable – depuis longtemps effacée.

Un recueil de poèmes dont ma voix ne s’adresse qu’au silence.

Un recueil de poèmes qui existera cependant, lorsque je me serai absentée vraiment, pour des yeux que je ne connais pas.

Un recueil de poèmes qui est fait pour être trouvé avant d’être cherché.

Géraldine Andrée

La flamme bleue

Cette flamme
bleue
auprès de laquelle
reviennent
les ailes
d’un très vieil
été,
les voix
des histoires
anciennes,
les ombres
blanches
des enfants
quand
leurs jeux
s’achèvent,
les visages
des feus
aïeux
dont les yeux
connaissent
mon âme,
les étincelles
des tasses
chinoises
sorties
de la crédence
et les instants
où un sourire
s’attarde,

cette flamme
si frêle
qui, à mesure
que je descends
dans le silence
de la page,
s’élève
dans un indicible
murmure,

c’est
le Poème.

Géraldine Andrée

La feuille du jardin

La maison ouvrira encore
ses persiennes
C’est sûr et certain
Je vois déjà

la scène
par un clair
matin
de juin

Tu arrives
au bout du chemin
quand la main
fine

de la servante
d’autrefois
décroche
la chaînette

qui te fait signe
en scintillant
au soleil
Et voici

la vive
lumière
des roses
trémières

qui entre
dans la chambre
et entoure
la corolle de la lampe

Les notes
des oiseaux
constellent
le plafond

de plâtre
gris
comme un ciel
de beau temps

L’aile
d’une senteur
de lavande
se glisse

dans l’échancrure
en dentelle
de la chemise
qui attend

bras écartés
que tu lui confies
tes épaules
d’enfant

Même la mésange
brodée
promet
de faire éclater

dans le silence
du tapis persan
l’aurore
de son chant

N’éprouve
pas de peine
si en cherchant
le journal

intime
de celle que tu fus
tu ne trouves
que des tiroirs vides

car un autre
cahier
s’est ouvert
dans la chambre

ce jardin
qui t’accueille
avec une telle
bienveillance

que tu deviens
l’une
de ses feuilles
qui palpite

en se tournant
doucement

Géraldine Andrée

Pardonner

Pardonner ce n’est pas
Dire C’est bon Tout est effacé
Ce que tu m’as fait
n’a plus d’importance

Pardonner ce n’est pas
Tendre l’autre joue
pour une deuxième
gifle

Pardonner ce n’est pas
Se laisser abuser
maltraiter
à nouveau

Pardonner ce n’est pas
Céder encore
son pouvoir à l’autre
par excès de gentillesse

Pardonner c’est
Dépasser ce que l’autre a fait
pour s’accorder le droit
à une vie meilleure

Pardonner c’est
Veiller à ne plus être blessé
parce que l’on n’espère pas
que l’autre peut changer

Pardonner c’est
Se délester du fardeau
que l’autre vous a posé sur le dos
pour commencer à avancer

Pardonner c’est
Remettre le sac de pierres
à celui qui doit le porter
ni plus ni moins

Pardonner c’est
Vivre
sans chercher
à se venger

Pardonner c’est
Se désintéresser
du sort de son bourreau
pour vivre pleinement

Pardonner c’est 
S’autoriser
à vivre heureux
dans l’instant présent

Pardonner c’est
Ouvrir
les chaînes
de la manipulation mentale

Pardonner c’est
S’octroyer le droit
de se défendre
pour récupérer ses droits

Pardonner c’est
Mettre la priorité
sur la reconquête
de ses dons et talents

Pardonner c’est
Prendre soin de soi
se délecter
de chaque jour qui passe

Pardonner c’est
Se pardonner soi
pour avoir entretenu avec l’autre
cette relation karmique

Pardonner c’est
Redonner
une chance
à son existence

Pardonner c’est
Écrire
Je me berce
avec ma plume

pour me réveiller
demain
en tant qu’enfant
guéri

Géraldine Andrée

La fenêtre d’Emily

Les derniers beaux jours

Ce sont les derniers beaux jours
Certes l’on s’attarde
sur la terrasse
avec un livre
et une tasse

Mais une feuille
traverse
la brise
ne laissant
pour seule

trace
que les points
rouges
d’un feu
follet

vite
disparus
pour l’œil
qui les cherche
encore

telle la suite
d’une phrase
effacée
qu’il faudrait pourtant
continuer

Du passage
de la vive
lumière
d’août
il ne reste

qu’une dentelle
de jeune fille
que les aiguilles
des branches
déchirent

Une aile
frétille
avant de prendre
son envol
de la corolle

et sur le chemin
qui nous vient
du jardin
les ombres
se rassemblent

puis avancent
dans une conversation
muette
qui trouble
le cœur

Alors
on raccompagne
l’Ami
pour lequel
dans un ultime

rayon
de soleil
on ouvre
la grille
en lui disant

d’une voix
qui tremble
À demain
sans en être
certain

bien que l’on ajoute
ces deux mots
fragiles
comme
des libellules

au signe
que fera longtemps
de loin
la paume
de la main

Géraldine Andrée

Les lieux qui comptent le plus à mes yeux

Les deux amants

Le silence et la poésie
sont amants
Tout comme
l’amant
le plus tendre
rend l’âme
de l’amante
rayonnante
le silence
allume
des lampes
sur le passage
de la poésie
qui irradie
pour nous
tous

Le silence
écoute
ce que la poésie
lui confie

le point d’une source quelque part
la cascade de notes d’un oiseau
le chemin qui craque sous les pas comme un sablé chaud
le ballet des lumières de l’aube
le tintement de la cloche de cinq heures
le bourdonnement du sang quand la porte s’ouvre
le souffle du chien revenu
les ailes d’une libellule
minuscule virgule
suspendue un instant
sur la phrase du soleil
le vent qui tourne les feuilles
du châtaignier

Et la poésie
rend grâce
au silence
qu’elle accueille
dans l’étoile
de son chant

Que ce recueil
soit l’enfant
de leurs noces

Géraldine Andrée
Extrait du recueil poétique à paraître
Le Bleu de menthe du silence

Elle voulait posséder tout le bleu

Elle voulait posséder tout le bleu

le bleu du monde quand le ciel semble y descendre
le bleu de l’océan sous la terrasse blanche
le bleu des paupières à la naissance
le bleu de la lavande de Provence
le bleu du thym et de la menthe
entre lesquels le sentier s’avance
le bleu des nuits que la fièvre rend ardentes
le bleu d’un beau jour de dimanche
le bleu des cierges dans l’ombre
le bleu des reflets de l’âme lorsque le temps change
comme à travers un miroir qu’une main divine vous tend
le bleu du cri de l’amant
le bleu des ecchymoses contre la bicyclette de l’enfance
le bleu d’une robe qui danse
à la lisière de la forêt d’Amance
ne serait-ce pas celle d’Hortense
qui est pourtant morte depuis longtemps

Mais elle ne pouvait contenir ce bleu immense
entre ses frontières humaines
Son esprit
n’était qu’un tout petit
pays

Alors elle a rempli l’encrier
d’une encre outremer
pour faire de son poème
une embouchure
vers le bleu qui attend
qu’elle s’y baigne
une fois qu’elle aura atteint
ce point
qui s’enfonce
dans l’infini

Géraldine Andrée