Cette flamme bleue auprès de laquelle reviennent les ailes d’un très vieil été, les voix des histoires anciennes, les ombres blanches des enfants quand leurs jeux s’achèvent, les visages des feus aïeux dont les yeux connaissent mon âme, les étincelles des tasses chinoises sorties de la crédence et les instants où un sourire s’attarde,
cette flamme si frêle qui, à mesure que je descends dans le silence de la page, s’élève dans un indicible murmure,
La poétesse Emily Dickinson vécut toute sa vie recluse. Elle avait pour seul contact avec le monde une fenêtre près de laquelle elle composait ses poèmes, une fenêtre qui éclairait – j’en suis certaine – cette fenêtre intérieure donnant sur son cœur. C’est ainsi qu’elle put célébrer l’immensité en elle.
Quel que soit ton contexte de vie, quelles que soient tes conditions d’existence, veille, toi aussi, à avoir toujours une fenêtre par laquelle tu t’exerces à regarder comme un méditant.
Cette fenêtre, ce peut être, ainsi que la Poétesse le dit, une feuille de trèfle, le météore d’une abeille, la brindille « d’une vaste prairie ».
Ce peut être, de même, la prunelle de ton chat, la lueur de la lampe des dépendances qui éclaire ton pas quand tu rentres, une flaque de pluie, une tasse en porcelaine, un chapitre de ton livre – tout ce en quoi tu te reconnais tel que tu es, vivant, respirant – être dont le talent d’amour consiste à célébrer tout ce qui aux yeux de tant d’autres semble insignifiant.
Alors, ton âme deviendra cette fenêtre sur laquelle se pose l’aile d’un signe qui ne te demande pas de le déchiffrer ou de le comprendre, mais simplement de le recevoir.
Et ce sera amplement suffisant.
C’est sans doute ce que tous les océans, les champs, les montagnes et les prairies avec leurs plus infimes poissons, épis, pierres et fleurs attendent.
Que chaque homme de ce monde soit, durant le bref clin d’œil que dure le temps de sa vie, une fenêtre comme le fut Emily.
Le silence et la poésie sont amants Tout comme l’amant le plus tendre rend l’âme de l’amante rayonnante le silence allume des lampes sur le passage de la poésie qui irradie pour nous tous
Le silence écoute ce que la poésie lui confie
le point d’une source quelque part la cascade de notes d’un oiseau le chemin qui craque sous les pas comme un sablé chaud le ballet des lumières de l’aube le tintement de la cloche de cinq heures le bourdonnement du sang quand la porte s’ouvre le souffle du chien revenu les ailes d’une libellule minuscule virgule suspendue un instant sur la phrase du soleil le vent qui tourne les feuilles du châtaignier
Et la poésie rend grâce au silence qu’elle accueille dans l’étoile de son chant
Que ce recueil soit l’enfant de leurs noces
Géraldine Andrée
Extrait du recueil poétique à paraître
Le Bleu de menthe du silence
le bleu du monde quand le ciel semble y descendre le bleu de l’océan sous la terrasse blanche le bleu des paupières à la naissance le bleu de la lavande de Provence le bleu du thym et de la menthe entre lesquels le sentier s’avance le bleu des nuits que la fièvre rend ardentes le bleu d’un beau jour de dimanche le bleu des cierges dans l’ombre le bleu des reflets de l’âme lorsque le temps change comme à travers un miroir qu’une main divine vous tend le bleu du cri de l’amant le bleu des ecchymoses contre la bicyclette de l’enfance le bleu d’une robe qui danse à la lisière de la forêt d’Amance ne serait-ce pas celle d’Hortense qui est pourtant morte depuis longtemps
Mais elle ne pouvait contenir ce bleu immense entre ses frontières humaines Son esprit n’était qu’un tout petit pays
Alors elle a rempli l’encrier d’une encre outremer pour faire de son poème une embouchure vers le bleu qui attend qu’elle s’y baigne une fois qu’elle aura atteint ce point qui s’enfonce dans l’infini