L’enfance de ma mère, c’est
le tandem d’acier gris conduit avec sa sœur qui traverse le village comme du vif-argent,
le champ d’avoine folle,
l’ombre du marronnier sur le banc de l’école,
les mirabelles récoltées dans le grand verger,
le fil qui court tandis que la lumière éclaire les fleurs de la nappe et voici la première robe,
la vague qui s’annonce dans le coquillage posé contre l’oreille,
les bottes dans la flaque de pluie,
la craie de la marelle,
l’épais manteau de laine quand les matins sont si froids que le givre aux branches est bleu,
le magazine Mode feuilleté pendant la sieste,
les aiguilles brillantes du temps qu’elle tricote pour qu’il soit à sa taille,
les longs cheveux dans le miroir.
J’aime penser parfois
qu’alors que je n’existais pas encore,
j’ai été dans la vie de ma mère
l’éclat de l’acier,
le souffle du vent dans le champ d’avoine,
une feuille de marronnier sur son épaule d’écolière,
une mirabelle fendue qu’elle mange en cachette,
la vague qui envahit le coquillage de son oreille,
une étoile de pluie sur le cuir de ses bottes,
le mot Ciel entouré,
la laine protégeant son cou,
une page de ce magazine qu’elle froisse en guise de signet,
ses yeux sur sa taille qui s’affine – mais n’est-ce pas le temps qui grandit ? -,
le miroir qui la voit se sourire au moment où elle se coiffe.
J’aime penser
qu’alors que je ne viendrais pas au monde avant de longues années,
j’ai été
un minuscule bout du fil de la vie de ma mère
quand elle ouvrait le col de sa robe
pour regarder danser le jardin
avec la lumière.
Géraldine Andrée
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