Archives mensuelles : juillet 2017

La maison est seule

La maison est seule
depuis que tu es partie.
L’océan du silence
enveloppe les fauteuils,

les commodes, les armoires
et le regard de Vénus
dans son tableau
fixe un astre invisible.

On entend bien sûr
les rires des feuilles,
des fêtes et des filles,
mais leurs éclats

constellent la lumière
du dehors
et semblent venus
de l’autre côté de la rive.

Quelques pétales
de soleil
volent à travers
les fentes

du volet,
tremblent
sur les housses
puis s’amenuisent.

Les livres
à la reliure rousse
de la bibliothèque
sont fermés

pour toujours
sur des phrases
sans doute
jamais lues.

La maison est seule
depuis que tu es partie.
Mais si j’avance
vers son coeur,

en passant
à pas lents
comme une revenante
devant ton miroir,

libre
de toute
mémoire,
si j’arrive

là où les embrasures
noires
des chambres
se contemplent,

je sais
que je trouverai
un oeil d’or :
c’est

le cadran
de l’horloge
de ton père
qui marque

encore
de son aiguille
d’argent
les heures,

et si je m’approche
davantage,
si je lève
tes oreillers,

à la recherche
d’un trésor
oublié,
la trace

de tes épaules
lasses
qui y ont reposé,
peut-être

recueillerai-je
un souffle
détaché
de tes lèvres

pendant
ton dernier rêve…
Alors,
je l’accrocherai

comme un foulard
dénoué
au patère
et toute la maison

saura
que tu es rentrée
de ta longue
promenade,

que tu es prête
à présent
à te coucher
en son silence,

vêtue
de ta chemise
de nuit
blanche…

Géraldine Andrée

Je demande à mon amie

Je demande
à mon amie
comment
elle va
ce soir

La lune
a des reflets
bleus
comme
dans un miroir

On ne peut voir
les étoiles
mais elles sont
prêtes
à apparaître

Bientôt
elles piquetteront
le ciel
en des millions
d’aiguilles

Je demande
à mon amie
comment
elle va
ce soir

La nuit
est toujours
silencieuse
et indifféremment
paisible

tandis
que les hommes
ont des combats
de David
contre Goliath

à mener
souvent
par revanche
et volonté
de pouvoir

D’autres
doivent
se battre
en revanche
contre le pouvoir

d’un destin
qui les accable
Mon amie
a donné
le premier

coup
de sabre
au crabe
qui l’habite
au péril

de ses forces
qui s’épuisent
Comment
retourner
contre l’ennemi

son dard ?
Dans les veines
de mon amie
s’est infiltré
le violent

remède
Toutes
les étoiles
dans le ciel
s’apprêtent

à luire
Je prie
pour reconnaître
celle
de mon amie

à laquelle
je demande
comment
elle va
ce soir

comme
je le fais
avec foi
à mon regard
dans le miroir

Géraldine Andrée

La cicatrice

Elle se fait
la cicatrice
au fil des jours

D’aurore en aurore
de rosée en rosée
tout au long

de la lumière
que le temps
étire

elle se tisse
la cicatrice
Il y aura

bientôt
un pont
entre

les deux
rives
En attendant

tu peux
vivre
changer

l’eau
des fleurs
dans le vase

avancer
dans ton livre
et quand

la rose
mauve
du crépuscule

sera éclose
sur le col
de la colline

préparer
la robe
de demain

Un matin
les bords
seront réunis

Tu pourras
rire
et courir

laisser
tes cheveux
libres

et plus large
la dentelle
de l’échancrure

Sur la page
de ta peau
il restera

bien sûr
une trace
cette preuve

que tu as vécu
pour guérir
et que tu as guéri

d’avoir vécu
une toute
petite

cicatrice
qui se fait
déjà

parce que
vois-tu
c’est écrit

Géraldine Andrée

Le poème est une femme

La famille terrestre et la famille spirituelle

Nous avons deux familles : la famille terrestre et la famille spirituelle.

C’est ce que mon psy m’a dit.

Or, notre erreur est de confondre les deux, de croire que nous venons de notre famille terrestre alors que notre origine est bien plus vaste, bien plus haute et que notre pays natal se situe parmi les astres.

Cette confusion engendre beaucoup de souffrance car si notre famille terrestre ne nous accepte pas tels que nous sommes, nous croyons ne pas avoir notre place dans l’Univers.

Mon psy m’a dit :

La famille terrestre est éphémère ; elle dure le temps d’une vie.
La famille spirituelle est éternelle : elle nous accompagne de vie en vie.

La famille terrestre exige de son enfant qu’il soit parfait.
La famille spirituelle n’attend rien de l’enfant, sinon qu’il soit.

La famille terrestre voit l’enfant comme un reflet d’elle dans un miroir.
La famille spirituelle voit l’enfant comme il est. Elle le remercie d’exister.

La famille terrestre désire que l’enfant réalise les rêves non atteints (de son père, de sa mère, de ses aïeux).
La famille spirituelle sait que l’enfant est un rêve réalisé dans tous les temps et tous les espaces – passés, présents, futurs.

La famille terrestre transmet à l’enfant des choses dont il n’est pas responsable et qui le font pourtant sentir coupable.
La famille spirituelle voit la pureté de l’enfant comme une fleur parue un matin à fleur de monde.

La famille terrestre donne ses propres chaînes à l’enfant.
La famille spirituelle lui fait pousser des ailes destinées aux souffles des océans.

La famille terrestre alourdit les pas de l’enfant sur son chemin de vie.
La famille spirituelle le guide toujours un instant plus tard, une étincelle plus loin.

La famille terrestre a dans les armoires des secrets bien gardés de génération en génération.
La famille spirituelle montre à l’enfant le point d’or caché sous chaque pétale.

La famille terrestre demande à l’enfant d’accomplir un travail d’évolution.
La famille spirituelle récompense cette évolution qui a toujours atteint le plus haut degré que l’enfant a été capable de gravir.

La famille terrestre s’absente ; déserte ; abandonne l’enfant parfois. Ou elle meurt parce que le temps passe.
La famille spirituelle est fidèle. Qu’importe qu’elle soit invisible ! Elle conseille l’enfant intérieur de chaque adulte par des mots qu’elle dépose dans son âme pendant un songe, une promenade, une lecture. Elle le veille à son chevet, les soirs de silence et de peine.

Notre famille spirituelle habite au-delà de la terre.

Elle nous accueille joyeusement entre deux vies.

Il arrive néanmoins qu’elle existe sur la terre.

C’est alors un miracle qu’il faut fêter avec plus de générosité que son propre anniversaire.

On peut la rencontrer dans la parole d’un ami, les yeux d’un animal, le sourire d’un étranger que l’on reconnaît soudain.

Malgré le fait que nous soyons des passants dans ce monde, la famille spirituelle nous rend la souvenance de notre éternité et de notre maison première dans l’Univers.

Nous ne sommes jamais orphelins. Ni seuls.

A l’arbre millénaire dont les branches s’accrochent à la moire scintillante de la nuit,

nous sommes chacun

Feuille attachée.

C’est ce que mon psy m’a dit,
Aujourd’hui.

Géraldine Andrée

Mon psy m’a dit

Le souvenir de l’ombre

Quand on a clos
les volets,
l’ombre est entrée
chez toi.

Elle a jeté
son long
manteau
sur le piano

noir
d’ébène,
le tabouret
de velours

où tu t’asseyais
tous les jours,
tes bouquets
d’aiguilles à coudre,

les reliures
de ton mari,
les cartes
postales

de vieux
voyages
accomplis
par des amis

décédés
depuis,
les masques
africains

rapportés
d’une mission
géologique
au Ghana.

L’ombre
s’installe
aussi
à la grande

table
où tu servais
jadis
les dîners

de famille
et elle attend
qu’arrive
le plat de faïence

parmi
les ordonnances
oubliées
là.

Souvent,
je vois
battre
le coeur

d’or
de l’ombre,
ce balancier
de pendule

qui va
du même
rythme
tranquille

qu’aucun
événement
ne trouble.
L’ombre

demeure
désormais
à ton adresse.
Elle cache

dans sa robe
tes chers objets
dont tu guettais,
quand tu étais

encore
lucide,
le vol
possible.

A présent,
tu ne te souviens
plus
de rien

et lorsque
je retrouve
la rue,
les voix,

le mouvement,
la foule,
le soleil,
il ne me reste

de ma visite
chez toi,
et de mon parcours
parmi tes souvenirs

communs
à nous tous,
que le souvenir
de l’ombre

qui est venue
à saut de loup
une fin d’après-midi
d’août.

Géraldine Andrée

La maison d’autrefois

Je revois la maison d’autrefois : les fauteuils de velours vert, la bibliothèque où s’alignent tant de livres ; au centre du salon, le piano noir de jais ; sur le pupitre, les pages de la partition interrompue pour je ne sais quelle raison ; et dans la cuisine, une lumière de fin d’été qui dore la croûte dentelée de la tarte aux fruits.

Comment est-ce possible que je rentre dans la maison détruite comme si je revenais d’une promenade ?

Où est donc passée mon enfance pendant tout ce temps que j’employais à vivre ?

Géraldine Andrée

Tous droits réservés@2017