Tu écris
chaque jour :
bien que le monde
soit lourd,
tu veux le rendre
avec ta plume
aussi léger
et détaché
qu’une feuille
qui danse
sur un rayon
de lune.
Géraldine Andrée
Tu écris
chaque jour :
bien que le monde
soit lourd,
tu veux le rendre
avec ta plume
aussi léger
et détaché
qu’une feuille
qui danse
sur un rayon
de lune.
Géraldine Andrée
Ce qui me fait écrire,
ce sont les yeux de mon père, le col déboutonné de sa chemise d’été, son panier de courses rempli de tomates et de pamplemousses à son retour du marché le samedi, son pas lent qui me délivrait de mon mauvais rêve de petite fille, les traces de chocolat au bord de sa bouche qu’il essuyait avec son sempiternel mouchoir à carreaux, les empreintes de ses doigts sur la bouteille de vin rouge, ses mains derrière le dos lorsqu’il longeait le corridor pour trouver une solution à un souci, la lumière qui éclairait son front pendant qu’il lisait le journal, sa manière circonspecte de remonter l’horloge du salon comme s’il était le souverain des heures, l’ultime vêtement qu’il laissa chiffonné sur le chevalet avant de partir…
Ce qui me fait écrire, c’est la vie toujours aussi précise des défunts, l’évidente présence des absents qui nous regardent derrière les mots…
J’en veux pour preuve
ce cahier ouvert sur la mémoire.
Géraldine
Chaque
phrase
à laquelle
ma plume
imprime
son élan
dans le ciel
de la page
expanse
mon âme
Géraldine
La vie
me fait présent
de revenir
en rêve
dans l’ancien pays
que j’ai oublié
depuis
que je suis née
et que pourtant
je porte en moi
et que je berce
à mon réveil
tel un éternel
nouveau-né
avec ma plume
dans les langes
blancs
des pages
de mon cahier
de poèmes
Tous ses soleils
et ses lacs
brillent
dans ma mémoire
Pour les yeux
des girafes
et pour les feuilles
des figuiers
je suis
parfaite
Qu’importent
tous mes échecs
et toutes mes pertes
en cette vie
qu’importe si orpheline
que je suis devenue
je suis encore
en quête
d’un signe
de mon père
ou de ma mère
Je retrouve
la rue
africaine
que j’ai si souvent
parcourue
en tant qu’enfant
presque
nue
cette rue
bruissante
étincelante
où les voix
sont des soleils
qui dansent
sur les fruits
où le pagne
doré
de ma grand-mère
sèche
mes paupières
Alors je vois
que mon âme
est un grand
lac
qui reflète
la savane
de mes rêves
à parcourir
d’ici
à maintenant
Géraldine Andrée
Je sais un recueil de poèmes que j’ai écrits et reliés seulement pour moi-même, après mon voyage dans le désert.
Un recueil de poèmes qui dit ma traversée du vent et de la lumière.
Un recueil de poèmes dont les frêles vers sur la page me rappellent la trace dérisoire de mon passage dans le sable – depuis longtemps effacée.
Un recueil de poèmes dont ma voix ne s’adresse qu’au silence.
Un recueil de poèmes qui existera cependant, lorsque je me serai absentée vraiment, pour des yeux que je ne connais pas.
Un recueil de poèmes qui est fait pour être trouvé avant d’être cherché.
Géraldine Andrée
L’enfance de ma mère, c’est
le tandem d’acier gris conduit avec sa sœur qui traverse le village comme du vif-argent,
le champ d’avoine folle,
l’ombre du marronnier sur le banc de l’école,
les mirabelles récoltées dans le grand verger,
le fil qui court tandis que la lumière éclaire les fleurs de la nappe et voici la première robe,
la vague qui s’annonce dans le coquillage posé contre l’oreille,
les bottes dans la flaque de pluie,
la craie de la marelle,
l’épais manteau de laine quand les matins sont si froids que le givre aux branches est bleu,
le magazine Mode feuilleté pendant la sieste,
les aiguilles brillantes du temps qu’elle tricote pour qu’il soit à sa taille,
les longs cheveux dans le miroir.
J’aime penser parfois
qu’alors que je n’existais pas encore,
j’ai été dans la vie de ma mère
l’éclat de l’acier,
le souffle du vent dans le champ d’avoine,
une feuille de marronnier sur son épaule d’écolière,
une mirabelle fendue qu’elle mange en cachette,
la vague qui envahit le coquillage de son oreille,
une étoile de pluie sur le cuir de ses bottes,
le mot Ciel entouré,
la laine protégeant son cou,
une page de ce magazine qu’elle froisse en guise de signet,
ses yeux sur sa taille qui s’affine – mais n’est-ce pas le temps qui grandit ? -,
le miroir qui la voit se sourire au moment où elle se coiffe.
J’aime penser
qu’alors que je ne viendrais pas au monde avant de longues années,
j’ai été
un minuscule bout du fil de la vie de ma mère
quand elle ouvrait le col de sa robe
pour regarder danser le jardin
avec la lumière.
Géraldine Andrée
La maison ouvrira encore
ses persiennes
C’est sûr et certain
Je vois déjà
la scène
par un clair
matin
de juin
Tu arrives
au bout du chemin
quand la main
fine
de la servante
d’autrefois
décroche
la chaînette
qui te fait signe
en scintillant
au soleil
Et voici
la vive
lumière
des roses
trémières
qui entre
dans la chambre
et entoure
la corolle de la lampe
Les notes
des oiseaux
constellent
le plafond
de plâtre
gris
comme un ciel
de beau temps
L’aile
d’une senteur
de lavande
se glisse
dans l’échancrure
en dentelle
de la chemise
qui attend
bras écartés
que tu lui confies
tes épaules
d’enfant
Même la mésange
brodée
promet
de faire éclater
dans le silence
du tapis persan
l’aurore
de son chant
N’éprouve
pas de peine
si en cherchant
le journal
intime
de celle que tu fus
tu ne trouves
que des tiroirs vides
car un autre
cahier
s’est ouvert
dans la chambre
ce jardin
qui t’accueille
avec une telle
bienveillance
que tu deviens
l’une
de ses feuilles
qui palpite
en se tournant
doucement
Géraldine Andrée
J’écris pour ne pas manquer la page du jour.
Parce qu’un jour sans page écrite est un jour manqué.
Parfois, je ne sais si c’est le jour qui éclaire ma page
ou si c’est ma page qui éclaire le jour.
Tout ce que je sais, c’est que si je n’ai pas ouvert mon cahier,
je me sens coupable d’avoir oublié la lumière,
d’avoir négligé du regard ses fleurs d’or
qu’elle dépose sur les choses
et – pire encore –
de l’avoir effacée
avant que le temps ne le fasse.
Alors, j’écris pour ne pas manquer la lumière.
Géraldine
Comme
ultime
preuve
d’un retour
à la vie
acheter
ce recueil
de poésies
et faire
confiance
au feuillet
d’un poème
que le doigt
rencontre
par hasard
pour aimer
encore
Géraldine Andrée