ce sont les yeux de mon père, le col déboutonné de sa chemise d’été, son panier de courses rempli de tomates et de pamplemousses à son retour du marché le samedi, son pas lent qui me délivrait de mon mauvais rêve de petite fille, les traces de chocolat au bord de sa bouche qu’il essuyait avec son sempiternel mouchoir à carreaux, les empreintes de ses doigts sur la bouteille de vin rouge, ses mains derrière le dos lorsqu’il longeait le corridor pour trouver une solution à un souci, la lumière qui éclairait son front pendant qu’il lisait le journal, sa manière circonspecte de remonter l’horloge du salon comme s’il était le souverain des heures, l’ultime vêtement qu’il laissa chiffonné sur le chevalet avant de partir…
Ce qui me fait écrire, c’est la vie toujours aussi précise des défunts, l’évidente présence des absents qui nous regardent derrière les mots…
Au cœur de ta dernière nuit tu rêves que tu n’es plus qu’un point qui s’éloigne qui danse et qui tremble minuscule pétale confondu avec la corolle du ciel ultime lueur nous laissant seuls avec cette phrase qui s’achève tandis qu’une autre phrase la tienne véritable commence et se destine au jour suivant enfin délivrée du désir d’être comprise par nos esprits de mortels
La vie me fait présent de revenir en rêve dans l’ancien pays que j’ai oublié depuis que je suis née et que pourtant je porte en moi
et que je berce à mon réveil tel un éternel nouveau-né avec ma plume dans les langes blancs des pages de mon cahier de poèmes
Tous ses soleils et ses lacs brillent dans ma mémoire Pour les yeux des girafes et pour les feuilles des figuiers je suis parfaite
Qu’importent tous mes échecs et toutes mes pertes en cette vie qu’importe si orpheline que je suis devenue je suis encore en quête d’un signe de mon père ou de ma mère
Je retrouve la rue africaine que j’ai si souvent parcourue en tant qu’enfant presque nue cette rue bruissante
étincelante où les voix sont des soleils qui dansent sur les fruits où le pagne doré de ma grand-mère sèche mes paupières
Alors je vois que mon âme est un grand lac qui reflète la savane de mes rêves à parcourir d’ici à maintenant