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Haïkus pour le silence 1

Dans le silence
le point d’or
de l’encens

*

Gouttes de pluie
sur le carreau
il est trop tôt

*

La soie de l’herbe
tondue sous
tes pieds nus

*

Son sourire
dans le miroir
lui plaît

*

Bougie allumée
elle s’invite
à dîner

*

Après les épreuves
le sentier
de l’été

*

Le couteau de la lune
m’arrache
à mon rêve

*

Cette rose
dans mon vase
c’est beaucoup

*

Elle ouvre grand
ses mains
pour le jardin

*

Poème déposé
à l’aube
sur l’oreiller

Géraldine





Heart Of Glass

Je veux évoquer ici
cette chanson de Blondie,
Heart Of Glass,

au temps
où tout le monde
était encore vivant

– mon grand-père, ma grand-mère,
mon oncle, ma tante,
mon père, ma mère -…

Nous déjeunons alors
tous ensemble
en regardant

la blonde Blondie
qui se déhanche
– bottes rouges et jupe courte –

au rythme
des accords
qu’enchaîne

sa voix
dynamique
de soprane

sur l’écran de la télévision,
près de la fenêtre
du salon.

Mes grands-parents,
qui ont vécu à l’époque
où les cols

des robes
sont fermés
jusqu’au dernier bouton,

ne trouvent pas
la danse de Blondie
indécente.

Ils ont traversé
Mai soixante-huit
et en mille-neuf-cent-soixante-dix-huit,

année de la composition
de la chanson,
tout est possible.

Tandis que j’entends
sur Radio Nostalgie
cette chanson

qui remonte
d’un lointain dimanche
de mon enfance,

j’espère,
pendant un bref
instant,

le retour
des absents.
J’ose croire

qu’ils s’apprêtent
à boire
leur café noir

dans leur tasse
de porcelaine,
là, sur l’écran

bleu
de ma mémoire
(- Tu prends deux

ou trois sucres ?
– Non ! Tu sais très bien
que je préfère

le sucre roux
en poudre !
– Reste assise !

Je vais te chercher
le sachet
d’or ! ),

comme si une chanson
de jeunesse
avait le pouvoir

de ressusciter
les morts
et de ranimer

leurs voix
dans le profond
silence

de mon cœur
de cristal
que six

fêlures
lézardent
sans qu’il se brise.

Géraldine Andrée

Elle écrit

Elle écrit
elle écrit
parce qu’elle a peur
de disparaître
sans avoir tout dit

Mais plus elle écrit
plus sa main faiblit
À quoi bon poursuivre
alors qu’elle n’est qu’un point
misérable

dans la vaste
nuit
où vacille
la frêle lueur
de sa bougie

Elle songe
« Peut-être
que tout
ce qui importe
ce sont ces pages

blanches
comme les larges
allées
d’un dimanche
d’été

pour que des amis
que je n’aurai jamais
connus
ni invités
en cette vie

puissent y laisser
en toute
intimité
la trace
de leur venue… »

Et elle s’efface
après la phrase
qui raconte
son éclatant retour
au château de Beaujour

Il ne reste d’elle
à l’aube
que la porte
entrouverte
de son cahier

Géraldine Andrée

Le jardin conspire

Quand j’écris dans le jardin de mon enfance,
toute l’enfance du jardin
conspire à ce que j’écrive.

Le soleil fait sa ronde autour de ma main.
La fourmi franchit les marges de mon cahier,
me montrant comment être libre.

Les feuilles du vieux tremble
conversent toutes ensemble ;
leurs voix sur ma page déposent leurs ombres d’or.

Le pétale d’un silence virevolte entre mes mots,
ces roses d’encre,
qui ont attendu que je me penche.

Et la paume de Dieu au-delà du jardin
accomplit dans le jardin de l’univers
un autre miracle :

des semis d’étoiles,
des floraisons de météores,
des récoltes de nébuleuses bleues.

Tout le cosmos
vibre, bourdonne, palpite
tandis que se crée

la constellation d’un poème
autour de la petite planète
qu’est ma main de fillette.

Géraldine Andrée

Ce qui me fait écrire

Ce qui me fait écrire,

ce sont les yeux de mon père, le col déboutonné de sa chemise d’été, son panier de courses rempli de tomates et de pamplemousses à son retour du marché le samedi, son pas lent qui me délivrait de mon mauvais rêve de petite fille, les traces de chocolat au bord de sa bouche qu’il essuyait avec son sempiternel mouchoir à carreaux, les empreintes de ses doigts sur la bouteille de vin rouge, ses mains derrière le dos lorsqu’il longeait le corridor pour trouver une solution à un souci, la lumière qui éclairait son front pendant qu’il lisait le journal, sa manière circonspecte de remonter l’horloge du salon comme s’il était le souverain des heures, l’ultime vêtement qu’il laissa chiffonné sur le chevalet avant de partir…

Ce qui me fait écrire, c’est la vie toujours aussi précise des défunts, l’évidente présence des absents qui nous regardent derrière les mots…

J’en veux pour preuve

ce cahier ouvert sur la mémoire.

Géraldine

L’adieu au poète

Au cœur
de ta dernière
nuit
tu rêves
que tu n’es plus
qu’un point
qui s’éloigne
qui danse
et qui tremble
minuscule
pétale
confondu
avec la corolle
du ciel
ultime lueur
nous laissant
seuls
avec cette
phrase
qui s’achève
tandis qu’une autre
phrase
la tienne
véritable
commence
et se destine
au jour
suivant
enfin
délivrée
du désir
d’être comprise
par nos esprits
de mortels

Géraldine Andrée

L’ancien pays

La vie
me fait présent
de revenir
en rêve
dans l’ancien pays
que j’ai oublié
depuis
que je suis née
et que pourtant
je porte en moi

et que je berce
à mon réveil
tel un éternel
nouveau-né
avec ma plume
dans les langes
blancs
des pages
de mon cahier
de poèmes

Tous ses soleils
et ses lacs
brillent
dans ma mémoire
Pour les yeux
des girafes
et pour les feuilles
des figuiers
je suis
parfaite

Qu’importent
tous mes échecs
et toutes mes pertes
en cette vie
qu’importe si orpheline
que je suis devenue
je suis encore
en quête
d’un signe
de mon père
ou de ma mère

Je retrouve
la rue
africaine
que j’ai si souvent
parcourue
en tant qu’enfant
presque
nue
cette rue
bruissante

étincelante
où les voix
sont des soleils
qui dansent
sur les fruits
où le pagne
doré
de ma grand-mère
sèche
mes paupières

Alors je vois
que mon âme
est un grand
lac
qui reflète
la savane
de mes rêves
à parcourir
d’ici
à maintenant

Géraldine Andrée

L’ancien jardin

Tu le sais bien,
toi et moi,
nous venons
d’un ancien jardin.

Et même
si son murmure
s’est tari
dans les mémoires,

tu peux revoir,
quand tu fermes
en toute confiance
les yeux,

un rayon de soleil
qui danse
sur l’herbe
tendre,

l’ombrelle
du dimanche
au bord
de la fontaine,

la mésange
qui pépie
sur la plus haute
branche,

les fleurs
de glycine
qui s’inclinent
au passage

de la main
de la brise
puis qui redressent
leurs tiges,

le banc
de pierre
grise
sous la vigne,

et cette feuille
qui cligne
dans la blanche
lumière,

signe
qu’il est temps
de prendre
la plume

ou le pinceau
et de tracer
avec l’encre
caressante

ce frêle
chemin
qui nous mène
à l’ancien jardin,

lorsque la vie
semble
avoir effacé
de notre destinée

le vert
clair
et vibrant
du bonheur…

Géraldine Andrée

La prière de l’artiste

J’accepte de Toi,
Ô Cosmos
qui brilles
à ma fenêtre,

tous les poèmes,
toutes les nouvelles,
tous les romans,
tous les essais,

toutes les couleurs,
toutes les touches,
toutes les teintes,
toutes les étincelles,

toutes les notes,
tous les accords,
toutes les sonates,
toutes les symphonies,

toutes les soies,
tous les satins,
toutes les flanelles,
toutes les dentelles,

tous les parfums,
toutes les senteurs,
toutes les fragrances,
tous les arômes,

toutes les gourmandises
exquises,
toutes les roses,
toutes les ailes,

tous les printemps
que Tu possèdes
dans Ton immense
réserve,

car je sais
que Ta paume
bleue
contient

toutes
les constellations
possibles
au-delà du regard…

Je suis Ta voix,
Ton instrument,
Ton pinceau
et Ta plume.

J’accepte de Toi
que Tu me guides
vers une vie
meilleure

parce qu’il n’est jamais
trop tard
pour renaître
là où je suis attendue.

J’accepte de Toi
que Tu me montres
l’aurore
du mot Futur.

En écrivant,
en peignant,
en composant,
je confie

la brindille
de ma vie
à Ton souffle
puissant.

Géraldine Andrée