C’est une fin d’après-midi d’août.
Ma tante – ta soeur – séjourne chez toi pour t’apporter de l’aide, te faire la cuisine, te laver les pieds et les cheveux, t’inciter avec une ferme douceur à effectuer ta toilette.
Une mèche de soleil tombe soudain sur le vieil album de photographies ouvert près des tasses.
Ma tante s’exclame :
-Tiens ! Andrée ! C’est toi !
La petite photographie aux bords dentelés et jaunis passe entre toutes les mains jusqu’aux miennes.
C’est un chaude journée d’été comme celle-ci. L’herbe du jardin est assez haute.
Le cliché est en noir et blanc mais on devine en arrière-plan le ciel lumineux, le soleil ardent, les lueurs sonores des bourdonnements, le vertige de la clarté sur les tempes.
Tu te tiens debout près d’une large bassine métallique aux reflets d’argent, destinée à te rafraîchir et qui sert en ce temps-là à la fratrie de piscine.
Tu dois avoir quatre ans. Tu es en maillot de bain blanc. Tu es une enfant potelée, grassouillette. On voit tes cuisses charnues, ton ventre rond, tes joues pleines.
Des mèches auburn et bouclées tombent sur tes épaules. Tu fixes l’objectif avec un air étonné, presque mécontent. Tu ne souris pas. Il me semble même que tu fais la moue, indice de ton futur caractère autoritaire.
Je te tends la photographie.
Tu la prends.
J’entends son craquement rêche entre tes mains.
Tu t’observes quelques instants, à moitié surprise et à moitié distante, comme une enfant qui se voit confrontée soudain à sa propre image dans le miroir, un matin, et qui ne réalise pas encore que c’est bien elle.
Tu ne fais pas le lien entre la fillette que tu fus et la vieille femme que tu es devenue.
Assurément, pour toi-même, tu es une autre.
Une autre, cette fillette de jadis, en maillot de bain et s’apprêtant à se baigner dans la canicule.
Une autre aussi, cette femme âgée assise dans son fauteuil en retrait de la table, vêtue d’un pull-over gris alors qu’il fait si chaud. D’ailleurs, tu hais maintenant les douches et les bains. Tu rechignes à te dévêtir et à te laver. L’eau te dégoûte.
Ton regard ne reconnaît pas tes yeux d’enfance.
Assurément, tu n’es plus celle que tu as été.
D’un geste désormais indifférent, presque désinvolte, tu me rends la photographie.
Puis, tu nous regardes.
Tu ne reconnais pas davantage nos yeux car dans ces miroirs aussi tu ignores qui tu es,
enfant des matins sans miroir redevenue.
Géraldine Andrée
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