Archives mensuelles : mars 2017

Ton regard

Vient l’heure

où ton regard

ne fixe

aucun point,

 

même pas

ce trait d’union

sur l’un des vieux chandails

que tu rapièces,

 

même pas ces pointillés de lumière

sautillant pourtant

sur le chemin bleu

de ton poignet,

 

même pas les virgules

minuscules

de cette montre

qui scande ta vie encore.

 

Vient l’heure

où ton regard

cesse

de s’attarder

 

car il est temps

pour lui

de s’en aller

vers une destination

 

sans halte

dont toi seule

connais

le secret.

 

Alors, ton regard

traverse

mon visage,

et, comme une vague

 

qui franchit

le seuil des sables,

il prend

le large.

 

Moi, je reste sur le rivage.

Ton regard

n’emporte jamais

mon regard

 

vers un point commun.

Vient l’heure

où, quand je te quitte,

tu es déjà

 

loin.

 

Géraldine Andrée

Le murmure de l’eau

Seul

me console

le murmure

de l’eau

secrète

dans l’herbe

 

J’y abandonne

enfin

mes chagrins

qui ne deviennent

plus

que fétus

 

de paille

insignifiants

pétales

emportés

au large

du Temps

 

Et je me sens

enfin

réunifiée

par la clarté

qui se fragmente

en mille

 

paillettes

que des reflets

bercent

entre

chant

et chuchotement

 

Quant

aux têtes

flamboyantes

des joncs

qui se détachent

des tiges

 

pour suivre

le flot

leur renoncement

m’apprend

le pardon

des tourments

 

Seul

me console

le murmure

de l’eau

secrète

dans l’herbe

 

Géraldine Andrée

Tous droit réservés

Copyright 2017

Le secret de la pluie

La pluie a le talent de révéler les secrets du jardin.

Après l’averse, les parfums qui dormaient sous les feuilles, au chevet des racines, à fleur de terre, entre les brins d’herbe se répandent comme une infusion dans l’air.

Et tu reconnais les odeurs de l’humus, du fenouil, du thym mêlées à la senteur des pivoines fraîches.

Les gouttes qui tremblent encore aux branches accrochent au bord de tes cils des étincelles  insoupçonnées que tu ne vois point par une matinée ensoleillée d’été.

Voici une lueur bleue, un feu mauve, une touche d’or rose qui battent au coeur transparent de chaque goutte vivante.

Et ta promenade elle-même se fait musique.

N’entends-tu pas comme les flaques allument leurs cymbales sous tes pas ?

Que de variations de notes, n’est-ce pas ?

A moins que la pluie n’ait qu’un seul don,

te révéler

un secret d’enfant jusque là inconnu de Toi :

la clarté de ton regard

qui montre enfin à ton prochain

le jardin

comme au tout premier matin…

Géraldine Andrée

Petit luxe du jour

J’ai eu

comme richesse

aujourd’hui

une fleur

de lumière

sur ma table

d’écriture

Géraldine Andrée

Le pot de faïence blanche

On a découvert, caché dans un coin de ta chambre, le pot de faïence blanche décorée de fleurs bleues, qui date de ton enfance. C’est un pot précieux dans la famille.

Quand je n’étais pas encore née, tu y lavais ton baigneur potelé. On m’a dit que tu y faisais ta toilette, les matins, avant le départ pour l’école. On m’a dit aussi que tu t’amusais, les dimanches, à lancer dans le couloir des bulles irisées à partir de l’eau et de la mousse de savon que tu recueillais sur ses bords. Puis, tu riais aux éclats.

Plus tard, tu y laissas tremper ton linge rougi chaque mois. Tu passais, les jours d’été ardent, le gant mouillé sur ta gorge et sur les roses de tes seins tout juste écloses. J’imagine les bretelles dénouées de ta robe qui dévoilait la ligne mauve et cambrée de ton dos dans l’ombre des persiennes. Je te vois d’un seuil disparu assister à ta lente métamorphose.

Personne n’imaginerait que le pot ait pu avoir d’autres fonctions que celle de la toilette. C’est un pot bien décoré. Les fleurs sont peintes sur la faïence avec de fines touches de bleu où s’allume un reflet d’argent.

Aujourd’hui, si j’en crois ta manie, le pot de faïence blanche fleurie de bleu a changé d’utilité.

Je t’ai surprise, un matin, serrant le pot contre ton ventre comme un enfant fragile qui reposerait dans la corbeille de tes bras. Tu te dirigeais vers les toilettes, d’un pas précautionneux, pour en jeter le contenu. Sans honte, sans tabou comme si cela eût été une évidence de toujours.

Le pot de faïence qui te permettait, aux dires de tous, de faire une toilette coquette pendant toute ton enfance et ton adolescence te sert désormais, par je ne sais quel réflexe archaïque, de pot de chambre lorsqu’un besoin urgent interrompt ton sommeil.

Spontanément, je t’ai traitée de « dégoûtante ». A quoi bon ? Tu as poursuivi ton chemin vers ta destination, engoncée dans ta robe épaisse et coiffée de ton bonnet de nuit qui descend jusqu’à tes yeux.

Tu as gardé la mémoire de gestes ancestraux dont tu n’as pas conscience.

Ils te rassurent. Ils te donnent des repères dans un temps qui n’est plus. Et tu m’enseignes avec une fidèle exactitude, toi, la malade de l’Oubli pour laquelle les noms et les visages se sont évanouis, les us et coutumes d’autrefois quand « je n’y étais pas ».

Je deviens la confidente à mon insu de l’une de tes obscures habitudes.

Et j’en éprouve une profonde solitude.

Géraldine Andrée

L’autre matin

Voici l’autre matin,
celui de la vague vive
à fleur de rivage
qui rivalise

avec le vent
venu de loin
pour caresser
les visages ;

celui de l’azur clair
comme un verre
d’eau plein ;
un matin

dont le présent
est bon comme la lumière
du miel déposé
sur la mie de pain.

Je ne sais
si c’est
le matin d’hier,
d’aujourd’hui ou de demain.

Mais je sais
qu’il nous ressemble
quand son souffle tremble
de mes lèvres à tes mains.

 

Géraldine Andrée

Le fil de la voix

Il est dit

à l’enfant

que s’il approche

son oreille

de la terre,

 

il entend

couler

le chant

d’une rivière

secrète

 

qui remet

ses peines

à l’océan.

Et toi,

si tu approches

 

Ton Oreille

du coeur

du monde,

entends-tu

couler

 

ma frêle

voix

qui, en suivant

le fil

de sa prière

 

dans le silence

de la nuit

profonde,

se rapproche

sans cesse

 

avec  une confiance

certaine

de l’embouchure

si lointaine

de Ton Chant ?

 

Géraldine Andrée

Ta photographie

C’est une fin d’après-midi d’août.

Ma tante – ta soeur – séjourne chez toi pour t’apporter de l’aide, te faire la cuisine, te laver les pieds et les cheveux, t’inciter avec une ferme douceur à effectuer ta toilette.

Une mèche de soleil tombe soudain sur le vieil album de photographies ouvert près des tasses.

Ma tante s’exclame :

-Tiens ! Andrée ! C’est toi !

La petite photographie aux bords dentelés et jaunis passe entre toutes les mains jusqu’aux miennes.

C’est un chaude journée d’été comme celle-ci. L’herbe du jardin est assez haute.

Le cliché est en noir et blanc mais on devine en arrière-plan le ciel lumineux, le soleil ardent, les lueurs sonores des bourdonnements, le vertige de la clarté sur les tempes.

Tu te tiens debout près d’une large bassine métallique aux reflets d’argent, destinée à te rafraîchir et qui sert en ce temps-là à la fratrie de piscine.

Tu dois avoir quatre ans. Tu es en maillot de bain blanc. Tu es une enfant potelée, grassouillette. On voit tes cuisses charnues, ton ventre rond, tes joues pleines.

Des mèches auburn et bouclées tombent sur tes épaules. Tu fixes l’objectif avec un air étonné, presque mécontent. Tu ne souris pas. Il me semble même que tu fais la moue, indice de ton futur caractère autoritaire.

Je te tends la photographie.

Tu la prends.

J’entends son craquement rêche entre tes mains.

Tu t’observes quelques instants, à moitié surprise et à moitié distante, comme une enfant qui se voit confrontée soudain à sa propre image dans le miroir, un matin, et qui ne réalise pas encore que c’est bien elle.

Tu ne fais pas le lien entre la fillette que tu fus et la vieille femme que tu es devenue.

Assurément, pour toi-même, tu es une autre.

Une autre, cette fillette de jadis, en maillot de bain et s’apprêtant à se baigner dans la canicule.

Une autre aussi, cette femme âgée assise dans son fauteuil en retrait de la table, vêtue d’un pull-over gris alors qu’il fait si chaud. D’ailleurs, tu hais maintenant les douches et les bains. Tu rechignes à te dévêtir et à te laver. L’eau te dégoûte.

Ton regard ne reconnaît pas tes yeux d’enfance.

Assurément, tu n’es plus celle que tu as été.

D’un geste désormais indifférent, presque désinvolte, tu me rends la photographie.

Puis, tu nous regardes.

Tu ne reconnais pas davantage nos yeux car dans ces miroirs aussi tu ignores qui tu es,

enfant des matins sans miroir redevenue.

Géraldine Andrée

Ton absence

Ton absence,
c’est cette présence
dans les gouttes qui tombent des feuilles,
les fétus des chemins,
les rayons du soleil,
les cristaux de sel du vent qui vient de la mer,
les lueurs blondes des pollens,
les ombres qui s’allongent sur le mur de l’église,
les ciels à l’envers des flaques,
les remous de l’air,
les murmures de l’herbe,
les grains de terre sur les ongles des enfants,
les pépins de la grenade,
les notes d’une chanson,
les mots d’un poème,
les souffles d’un baiser qui s’entrecroisent.
Ton absence,
c’est cette présence démultipliée
partout où je vais.

Géraldine Andrée

Toi qui perds la mémoire,

Toi qui perds la mémoire, tu vis entourée du passé.

Tu déambules parmi des tableaux du dix-huitième siècle représentant des portraits de jeunes filles et de nymphes dans des paradis bucoliques ou des scènes familiales de Greuze.

La bibliothèque est remplie de livres anciens à la reliure pourpre ou dorée qu’avait achetés aux enchères ton mari.

Dans le salon de musique sont accrochés deux hauts portraits en pied : Louis XVI et Marie Antoinette.

Sur le siège devant le piano, un napperon que ma mère a crocheté assise au soleil et que tu lui as chipé quand tu avais vingt-cinq ans déploie sa corolle jaunie par le temps.

En empruntant le couloir qui mène à la salle de bains, on défile devant des étagères où sont superposés des livres de recettes de ta grand-mère. Je les imagine ouverts dans cette cuisine du début du vingtième siècle, une lumière blonde de fin de journée éclaire les explications, les poules montent au bord de la fenêtre et caquettent, la fourche renversée contre le mur d’en face montre ses dents auxquelles restent accrochées des touffes de foin, Marthe a laissé ses sabots sur le seuil, l’heure du repas est proche, il faut que tout soit prêt lorsque Michel rentrera.

Dans l’ombre du soir qui s’avance, l’armoire de la grand-tante dont tu as hérité en dépit du testament émet une longue succession de craquements mais tu ne t’en effraies pas car tu es sourde.

Sur la table de travail de ton mari, on trouve un fatras de cartes postales envoyées il y a longtemps déjà. Les phrases brèves comme Bonnes vacances du Lavandou ne sont plus d’actualité mais elles témoignent irrémédiablement de ce qui fut. Celle qui a le plus fréquemment signé, Midette, la maîtresse ensuite reniée, est décédée.

Dans les placards, les robes et les chemisiers désuets de ta jeunesse emmêlent leurs manches bariolées de fils car cette manie de vouloir repriser tout le temps t’absorbe toute entière pour les jours qu’il te reste.

Tu passes régulièrement à petits pas de souris silencieuse devant l’immense miroir Louis Philippe dans lequel tu ne te regardes pas.

Ces preuves d’un passé lointain, à jamais enfui, dont tu t’es accaparée avec cupidité jadis – en achetant, en empilant, en entassant, parfois même en volant – ne te concernent plus.

Toute cette richesse dont tu te vantais qu’elle te fut si proche, si familière, à toi, la descendante de paysans, t’est désormais étrangère.

Toi qui t’enorgueillissais de tes biens, tu vis maintenant dans une sorte d’indifférence pour des objets qui t’ont naguère coûté très cher – le prix de ta liberté et de ton indépendance envers un mari aisé mais égoïste.

Tu as oublié l’image que ces tableaux et ces miroirs inestimables me renvoient à ta place : l’abdication de ta vie personnelle.

La seule richesse qui compte maintenant à tes yeux est l’or roux de la grosse cuillerée de compote dont tu te barbouilles, vieille fillette, la bouche et les joues.

Géraldine Andrée