Heart Of Glass

Je veux évoquer ici
cette chanson de Blondie,
Heart Of Glass,

au temps
où tout le monde
était encore vivant

– mon grand-père, ma grand-mère,
mon oncle, ma tante,
mon père, ma mère -…

Nous déjeunons alors
tous ensemble
en regardant

la blonde Blondie
qui se déhanche
– bottes rouges et jupe courte –

au rythme
des accords
qu’enchaîne

sa voix
dynamique
de soprane

sur l’écran de la télévision,
près de la fenêtre
du salon.

Mes grands-parents,
qui ont vécu à l’époque
où les cols

des robes
sont fermés
jusqu’au dernier bouton,

ne trouvent pas
la danse de Blondie
indécente.

Ils ont traversé
Mai soixante-huit
et en mille-neuf-cent-soixante-dix-huit,

année de la composition
de la chanson,
tout est possible.

Tandis que j’entends
sur Radio Nostalgie
cette chanson

qui remonte
d’un lointain dimanche
de mon enfance,

j’espère,
pendant un bref
instant,

le retour
des absents.
J’ose croire

qu’ils s’apprêtent
à boire
leur café noir

dans leur tasse
de porcelaine,
là, sur l’écran

bleu
de ma mémoire
(- Tu prends deux

ou trois sucres ?
– Non ! Tu sais très bien
que je préfère

le sucre roux
en poudre !
– Reste assise !

Je vais te chercher
le sachet
d’or ! ),

comme si une chanson
de jeunesse
avait le pouvoir

de ressusciter
les morts
et de ranimer

leurs voix
dans le profond
silence

de mon cœur
de cristal
que six

fêlures
lézardent
sans qu’il se brise.

Géraldine Andrée

Tu écris

Tu écris
chaque jour :
bien que le monde
soit lourd,

tu veux le rendre
avec ta plume
aussi léger
et détaché

qu’une feuille
qui danse
sur un rayon
de lune.

Géraldine Andrée

La veillée

Alors, j’ai allongé ma sœur,
la tristesse,
sur la couverture
fleurie

du grand lit
puis j’ai allumé le feu
dans la nuit
de la cheminée.

Les flammes,
ces ballerines
bleues,
se sont entrelacées.

J’ai dégrafé sa robe noire,
délié ses sombres rubans,
ouvert son corsage
et ainsi penchée

sur le soupir
de notre âme
à fleur
de ses lèvres,

j’ai approché
de son visage
la corolle
de la pivoine

blanche,
pour qu’elle s’endorme
avec le souvenir
de mon ultime

sourire
dans le jardin
de la lointaine
enfance.

Géraldine


Elle écrit

Elle écrit
elle écrit
parce qu’elle a peur
de disparaître
sans avoir tout dit

Mais plus elle écrit
plus sa main faiblit
À quoi bon poursuivre
alors qu’elle n’est qu’un point
misérable

dans la vaste
nuit
où vacille
la frêle lueur
de sa bougie

Elle songe
« Peut-être
que tout
ce qui importe
ce sont ces pages

blanches
comme les larges
allées
d’un dimanche
d’été

pour que des amis
que je n’aurai jamais
connus
ni invités
en cette vie

puissent y laisser
en toute
intimité
la trace
de leur venue… »

Et elle s’efface
après la phrase
qui raconte
son éclatant retour
au château de Beaujour

Il ne reste d’elle
à l’aube
que la porte
entrouverte
de son cahier

Géraldine Andrée

Le jardin conspire

Quand j’écris dans le jardin de mon enfance,
toute l’enfance du jardin
conspire à ce que j’écrive.

Le soleil fait sa ronde autour de ma main.
La fourmi franchit les marges de mon cahier,
me montrant comment être libre.

Les feuilles du vieux tremble
conversent toutes ensemble ;
leurs voix sur ma page déposent leurs ombres d’or.

Le pétale d’un silence virevolte entre mes mots,
ces roses d’encre,
qui ont attendu que je me penche.

Et la paume de Dieu au-delà du jardin
accomplit dans le jardin de l’univers
un autre miracle :

des semis d’étoiles,
des floraisons de météores,
des récoltes de nébuleuses bleues.

Tout le cosmos
vibre, bourdonne, palpite
tandis que se crée

la constellation d’un poème
autour de la petite planète
qu’est ma main de fillette.

Géraldine Andrée

Ce qui me fait écrire

Ce qui me fait écrire,

ce sont les yeux de mon père, le col déboutonné de sa chemise d’été, son panier de courses rempli de tomates et de pamplemousses à son retour du marché le samedi, son pas lent qui me délivrait de mon mauvais rêve de petite fille, les traces de chocolat au bord de sa bouche qu’il essuyait avec son sempiternel mouchoir à carreaux, les empreintes de ses doigts sur la bouteille de vin rouge, ses mains derrière le dos lorsqu’il longeait le corridor pour trouver une solution à un souci, la lumière qui éclairait son front pendant qu’il lisait le journal, sa manière circonspecte de remonter l’horloge du salon comme s’il était le souverain des heures, l’ultime vêtement qu’il laissa chiffonné sur le chevalet avant de partir…

Ce qui me fait écrire, c’est la vie toujours aussi précise des défunts, l’évidente présence des absents qui nous regardent derrière les mots…

J’en veux pour preuve

ce cahier ouvert sur la mémoire.

Géraldine

En te penchant sur la terre

Les feuilles
s’épanouissent
grâce aux racines.
C’est en te penchant

sur la terre,
c’est-à-dire
en veillant
sur tout ce qui s’apprête

à apparaître,
à venir au monde
depuis
la nuit

la plus profonde
– les graines
fécondes
des semis,

ces gemmes
d’or
qui annoncent
des asters

bientôt prêts
à éclore,
et qui t’invitent
à croire

au futur
de la renoncule,
en la tige
du cosmos

persévérante
dans sa force
invisible –
que tu t’élèves,

car bien après
avoir œuvré
pour faire advenir
la foi

dans l’attente,
tu peux te coucher
sur cette même
terre

bras et jambes
en étoile,
tandis que le ciel
descend

dans la corolle
de ton regard.

Géraldine Andrée


L’adieu au poète

Au cœur
de ta dernière
nuit
tu rêves
que tu n’es plus
qu’un point
qui s’éloigne
qui danse
et qui tremble
minuscule
pétale
confondu
avec la corolle
du ciel
ultime lueur
nous laissant
seuls
avec cette
phrase
qui s’achève
tandis qu’une autre
phrase
la tienne
véritable
commence
et se destine
au jour
suivant
enfin
délivrée
du désir
d’être comprise
par nos esprits
de mortels

Géraldine Andrée

L’ancien pays

La vie
me fait présent
de revenir
en rêve
dans l’ancien pays
que j’ai oublié
depuis
que je suis née
et que pourtant
je porte en moi

et que je berce
à mon réveil
tel un éternel
nouveau-né
avec ma plume
dans les langes
blancs
des pages
de mon cahier
de poèmes

Tous ses soleils
et ses lacs
brillent
dans ma mémoire
Pour les yeux
des girafes
et pour les feuilles
des figuiers
je suis
parfaite

Qu’importent
tous mes échecs
et toutes mes pertes
en cette vie
qu’importe si orpheline
que je suis devenue
je suis encore
en quête
d’un signe
de mon père
ou de ma mère

Je retrouve
la rue
africaine
que j’ai si souvent
parcourue
en tant qu’enfant
presque
nue
cette rue
bruissante

étincelante
où les voix
sont des soleils
qui dansent
sur les fruits
où le pagne
doré
de ma grand-mère
sèche
mes paupières

Alors je vois
que mon âme
est un grand
lac
qui reflète
la savane
de mes rêves
à parcourir
d’ici
à maintenant

Géraldine Andrée

Un recueil de poèmes

Je sais un recueil de poèmes que j’ai écrits et reliés seulement pour moi-même, après mon voyage dans le désert.

Un recueil de poèmes qui dit ma traversée du vent et de la lumière.

Un recueil de poèmes dont les frêles vers sur la page me rappellent la trace dérisoire de mon passage dans le sable – depuis longtemps effacée.

Un recueil de poèmes dont ma voix ne s’adresse qu’au silence.

Un recueil de poèmes qui existera cependant, lorsque je me serai absentée vraiment, pour des yeux que je ne connais pas.

Un recueil de poèmes qui est fait pour être trouvé avant d’être cherché.

Géraldine Andrée

L’ancien jardin

Tu le sais bien,
toi et moi,
nous venons
d’un ancien jardin.

Et même
si son murmure
s’est tari
dans les mémoires,

tu peux revoir,
quand tu fermes
en toute confiance
les yeux,

un rayon de soleil
qui danse
sur l’herbe
tendre,

l’ombrelle
du dimanche
au bord
de la fontaine,

la mésange
qui pépie
sur la plus haute
branche,

les fleurs
de glycine
qui s’inclinent
au passage

de la main
de la brise
puis qui redressent
leurs tiges,

le banc
de pierre
grise
sous la vigne,

et cette feuille
qui cligne
dans la blanche
lumière,

signe
qu’il est temps
de prendre
la plume

ou le pinceau
et de tracer
avec l’encre
caressante

ce frêle
chemin
qui nous mène
à l’ancien jardin,

lorsque la vie
semble
avoir effacé
de notre destinée

le vert
clair
et vibrant
du bonheur…

Géraldine Andrée

La prière de l’artiste

J’accepte de Toi,
Ô Cosmos
qui brilles
à ma fenêtre,

tous les poèmes,
toutes les nouvelles,
tous les romans,
tous les essais,

toutes les couleurs,
toutes les touches,
toutes les teintes,
toutes les étincelles,

toutes les notes,
tous les accords,
toutes les sonates,
toutes les symphonies,

toutes les soies,
tous les satins,
toutes les flanelles,
toutes les dentelles,

tous les parfums,
toutes les senteurs,
toutes les fragrances,
tous les arômes,

toutes les gourmandises
exquises,
toutes les roses,
toutes les ailes,

tous les printemps
que Tu possèdes
dans Ton immense
réserve,

car je sais
que Ta paume
bleue
contient

toutes
les constellations
possibles
au-delà du regard…

Je suis Ta voix,
Ton instrument,
Ton pinceau
et Ta plume.

J’accepte de Toi
que Tu me guides
vers une vie
meilleure

parce qu’il n’est jamais
trop tard
pour renaître
là où je suis attendue.

J’accepte de Toi
que Tu me montres
l’aurore
du mot Futur.

En écrivant,
en peignant,
en composant,
je confie

la brindille
de ma vie
à Ton souffle
puissant.

Géraldine Andrée

Lettre à ma petite fille intérieure

La flamme bleue

Cette flamme
bleue
auprès de laquelle
reviennent
les ailes
d’un très vieil
été,
les voix
des histoires
anciennes,
les ombres
blanches
des enfants
quand
leurs jeux
s’achèvent,
les visages
des feus
aïeux
dont les yeux
connaissent
mon âme,
les étincelles
des tasses
chinoises
sorties
de la crédence
et les instants
où un sourire
s’attarde,

cette flamme
si frêle
qui, à mesure
que je descends
dans le silence
de la page,
s’élève
dans un indicible
murmure,

c’est
le Poème.

Géraldine Andrée

Le poème et l’infini

Je sais que chaque poème contient l’infini.
Mais -me diriez-vous – comment quelques lignes comprennent-elles l’espace illimité ?

À cela, je vous répondrais qu’une fois que vous avez fini de lire le poème, vous pouvez le poursuivre, être poète à votre tour avec votre plume.

Il vous suffit d’ajouter quelques mots comme « flamme », « âme », « fétu », « brindille » ou un vers comme « la feue jeune fille dans mon souvenir pétille »

au silence qui suit,

pour que le poème vous laisse sa trace tel un météore dans la nuit,
que le ciel du feuillet de votre livre scintille,
et pour que votre plume
y devienne


oiseau.

Géraldine Andrée

Le détour

Oser faire
un détour,
et t’apercevoir
que si tu es en retard

pour ton rendez-vous
du jour,
tu as reçu
un nouveau regard,

celui qui a pris le temps
de se poser
sur la goutte
étincelant

telle
une étoile
sur le fil
de la toile

que l’épeire
discrète
a tissée
dans la lumière…

Géraldine Andrée

Sans titre

Prendre
le train
de bon
matin

vers la tendre
lumière
du Sud,
c’est cela,

Pardonner.

Géraldine Andrée

Le bout du fil

L’enfance de ma mère, c’est

le tandem d’acier gris conduit avec sa sœur qui traverse le village comme du vif-argent,

le champ d’avoine folle,

l’ombre du marronnier sur le banc de l’école,

les mirabelles récoltées dans le grand verger,

le fil qui court tandis que la lumière éclaire les fleurs de la nappe et voici la première robe,

la vague qui s’annonce dans le coquillage posé contre l’oreille,

les bottes dans la flaque de pluie,

la craie de la marelle,

l’épais manteau de laine quand les matins sont si froids que le givre aux branches est bleu,

le magazine Mode feuilleté pendant la sieste,

les aiguilles brillantes du temps qu’elle tricote pour qu’il soit à sa taille,

les longs cheveux dans le miroir.

J’aime penser parfois

qu’alors que je n’existais pas encore,

j’ai été dans la vie de ma mère

l’éclat de l’acier,

le souffle du vent dans le champ d’avoine,

une feuille de marronnier sur son épaule d’écolière,

une mirabelle fendue qu’elle mange en cachette,

la vague qui envahit le coquillage de son oreille,

une étoile de pluie sur le cuir de ses bottes,

le mot Ciel entouré,

la laine protégeant son cou,

une page de ce magazine qu’elle froisse en guise de signet,

ses yeux sur sa taille qui s’affine – mais n’est-ce pas le temps qui grandit ? -,

le miroir qui la voit se sourire au moment où elle se coiffe.

J’aime penser

qu’alors que je ne viendrais pas au monde avant de longues années,

j’ai été

un minuscule bout du fil de la vie de ma mère

quand elle ouvrait le col de sa robe

pour regarder danser le jardin

avec la lumière.

Géraldine Andrée

La feuille du jardin

La maison ouvrira encore
ses persiennes
C’est sûr et certain
Je vois déjà

la scène
par un clair
matin
de juin

Tu arrives
au bout du chemin
quand la main
fine

de la servante
d’autrefois
décroche
la chaînette

qui te fait signe
en scintillant
au soleil
Et voici

la vive
lumière
des roses
trémières

qui entre
dans la chambre
et entoure
la corolle de la lampe

Les notes
des oiseaux
constellent
le plafond

de plâtre
gris
comme un ciel
de beau temps

L’aile
d’une senteur
de lavande
se glisse

dans l’échancrure
en dentelle
de la chemise
qui attend

bras écartés
que tu lui confies
tes épaules
d’enfant

Même la mésange
brodée
promet
de faire éclater

dans le silence
du tapis persan
l’aurore
de son chant

N’éprouve
pas de peine
si en cherchant
le journal

intime
de celle que tu fus
tu ne trouves
que des tiroirs vides

car un autre
cahier
s’est ouvert
dans la chambre

ce jardin
qui t’accueille
avec une telle
bienveillance

que tu deviens
l’une
de ses feuilles
qui palpite

en se tournant
doucement

Géraldine Andrée

J’écris pour ne pas manquer

J’écris pour ne pas manquer la page du jour.
Parce qu’un jour sans page écrite est un jour manqué.
Parfois, je ne sais si c’est le jour qui éclaire ma page
ou si c’est ma page qui éclaire le jour.

Tout ce que je sais, c’est que si je n’ai pas ouvert mon cahier,
je me sens coupable d’avoir oublié la lumière,
d’avoir négligé du regard ses fleurs d’or
qu’elle dépose sur les choses

et – pire encore –
de l’avoir effacée
avant que le temps ne le fasse.
Alors, j’écris pour ne pas manquer la lumière.

Géraldine

TU ES PRÉCIEUSE

N’oublie pas, ma chère, que TE CONSIDÉRER COMME PRÉCIEUSE TE RENDRA PLUS FORTE. Alors, chouchoute-toi ; dorlote-toi :

*Bois beaucoup d’eau

*Va à la rencontre des livres qui t’attendent dans ta chambre

*Passe une longue nuit entre des draps satinés

*Pose un bouquet de fleurs fraîches sur la table basse de ton salon

*Écris chaque matin dans ton journal de Diva

*Ouvre toutes les portes afin que la musique baroque traverse les pièces de ta maison

*Enroule une écharpe en mohair autour de ton cou

*Pulvérise sur tes poignets ce parfum à la rose acheté à Majorque quand tu te sens incomprise par le monde entier

*Suis le chemin d’un poème qui t’apprendra à te déhancher davantage

*Fais brûler de l’encens ayurvédique

*Mange des gaufres chaudes au miel

*Interroge la flamme de ta bougie préférée : elle seule sait

*Sirote un thé en regardant la lune

Et surtout, respire ; tout va bien, vraiment,

car il n’y en a pas deux comme toi

pour te créer des moments de joie.

Tu es UNIQUE.

Géraldine Andrée

Écrivaine privée-biographe familiale-écritothérapeute

La force du poème

La force
du poème
si frêle
sur la page
consiste
à faire réapparaître
à la fenêtre
de ton cœur
un jardin
d’enfance
et un oiseau
depuis
longtemps
envolé
dans le silence
de l’été

Mais l’extrême
puissance
de ce poème
pourtant
si svelte
redonne
naissance
à la constellation
de feuilles
du jardin
quand tu espérais
une réponse
de celle
que tu aimais
au battement
d’ailes
de l’oiseau
qui te rappelle
le froissement
timide
de la lettre
que tu décachettes
et à ce pépiement
qui est un poème
en lui-même
par la fenêtre
de ton carnet
ouvert
sur ton sourire
de jeunesse

Géraldine Andrée

Actualité

Le livre Broché du Bleu de menthe du silence, édité avec le Soupir du temps, est arrivé !

Je ne sais si vous recevrez ma lettre Le temps n’est plus à la lecture Les flammes se fatiguent vite Les étoiles disparaissent parfois du ciel et l’on sent monter un silence de neige On préfère clore très tôt les persiennes mais l’on craint aussi l’ombre de la chambre

Je vous écris cette lettre cependant Et si vous sentez à votre chevet passer un souffle ou une aile ne vous inquiétez pas 

Ce ne sont que mes paroles qui ont quitté pour toujours le cœur de mes mains ouvertes

Géraldine Andrée

Ce recueil de poèmes rassemble des textes intimistes écrits pendant sept années, dont un qui fut unanimement primé, La Petite Chambre du Sud, et qui donna l’un de ses vers comme titre à ce recueil. Pour Géraldine ANDRÉE, écrire de la poésie consiste à « écouter le frémissement d’une aile en chaque silence ».

« Au cours de cette promenade immobile
cueillir le bleu de menthe du silence
puis converser avec la solitude
loin très loin dans la petite chambre du Sud »

La bobine du temps

Elle tourne

elle tourne

la bobine

du temps

sur la machine

à coudre

Au bout

du fil

étincelle

l’aiguille

qui court

telle

une jeune

fille

dans la flanelle

la soie

le feutre

le velours

Blouses

chemises

jupes

vestes

manteaux

et kaftans

Habits

de carnaval

ou d’écolière

Puis

robes

plus cintrées

aux épaulettes

étroites

dont la ligne

resserre

la taille

Je change

de silhouette

dans tous les styles

que crée

ma mère

et qui me montrent

plus fidèlement

qu’un miroir

que je grandis

inexorablement

sans voir

que des rides

parcourent

ses doigts

de couturière

annonçant

le frêle

tracé

du fil

qui tremble

l’ourlet

qui se défait

et qu’il est impossible

de reprendre

L’oeil en effet

jadis si vif

n’y voit plus

guère

C’est un soir

de faible

lumière

que le fil

sur le point

ultime

a formé

sa courbe

noire

Ma mère

avait perdu

la mémoire

de tous les entrelacs

des fils

à l’envers

des vêtements

car ma mère

avait hélas

une mémoire

à l’envers

Mais quand

je ferme

les yeux

je la revois

dans le miroir

de mon souvenir

coudre

le temps

au rythme

de la pédale

qui se balance

et sous

le ronronnement

tranquille

de la bobine

de fil

qui se dévide

infiniment

jusqu’à l’enfance

Géraldine Andrée

Sans titre

Comme
ultime
preuve
d’un retour


à la vie
acheter
ce recueil
de poésies


et faire
confiance
au feuillet
d’un poème


que le doigt
rencontre
par hasard
pour aimer


encore

Géraldine Andrée

Pardonner

Pardonner ce n’est pas
Dire C’est bon Tout est effacé
Ce que tu m’as fait
n’a plus d’importance

Pardonner ce n’est pas
Tendre l’autre joue
pour une deuxième
gifle

Pardonner ce n’est pas
Se laisser abuser
maltraiter
à nouveau

Pardonner ce n’est pas
Céder encore
son pouvoir à l’autre
par excès de gentillesse

Pardonner c’est
Dépasser ce que l’autre a fait
pour s’accorder le droit
à une vie meilleure

Pardonner c’est
Veiller à ne plus être blessé
parce que l’on n’espère pas
que l’autre peut changer

Pardonner c’est
Se délester du fardeau
que l’autre vous a posé sur le dos
pour commencer à avancer

Pardonner c’est
Remettre le sac de pierres
à celui qui doit le porter
ni plus ni moins

Pardonner c’est
Vivre
sans chercher
à se venger

Pardonner c’est
Se désintéresser
du sort de son bourreau
pour vivre pleinement

Pardonner c’est 
S’autoriser
à vivre heureux
dans l’instant présent

Pardonner c’est
Ouvrir
les chaînes
de la manipulation mentale

Pardonner c’est
S’octroyer le droit
de se défendre
pour récupérer ses droits

Pardonner c’est
Mettre la priorité
sur la reconquête
de ses dons et talents

Pardonner c’est
Prendre soin de soi
se délecter
de chaque jour qui passe

Pardonner c’est
Se pardonner soi
pour avoir entretenu avec l’autre
cette relation karmique

Pardonner c’est
Redonner
une chance
à son existence

Pardonner c’est
Écrire
Je me berce
avec ma plume

pour me réveiller
demain
en tant qu’enfant
guéri

Géraldine Andrée

Ma mère,

Je te suis reconnaissante

pour les algues que tu ramassais après la marée haute

– là, juste à fleur d’écume,

dans la trace brillante laissée par le reflux,

le long des frêles méandres

du sable

qui formaient un alphabet

mystérieux

et indéchiffrable -,

ces algues bleues, vertes et mauves

dont tu étais la chorégraphe

sur la scène glacée du papier,

ces algues qui, obéissant à ton doigt,

se déhanchaient, se courbaient, se relevaient,

enjambaient tout l’espace,

entrelacées comme des amantes passionnées,

éternelles danseuses

de mon enfance

sous le modeste projecteur

qu’était la lampe

de ce studio breton

secoué par les vents.

C’est le souvenir

que je garde de toi,

algue pour toujours

ondoyant

dans la houle

d’un océan

qui ne te déposera

sur aucun rivage.

Géraldine Andrée

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La fenêtre d’Emily

J’écris pour Toi

J’écris pour Toi.
J’écris pour que tu choisisses le sens de ta vie ;
pour que tu croies en l’Univers, au mouvement des étoiles qui changent les situations;
pour que tu éclaires avec ton âme les matins, même s’il te reste le goût du chagrin ;
pour que tu fasses confiance au temps, à la force de la patience ;
pour que tu aies le courage de renoncer quand c’est nécessaire, afin de mieux recevoir par la suite ;
pour que la fenêtre de la page transforme ton regard ;
pour que tu me lises et me répondes en écrivant lentement, en te délectant des méandres de l’encre ;
pour que tu traces toi-même ton chemin avec persévérance ;
pour que tu sois protégée par le pouvoir et la pureté de tes intentions ;
pour que tu ressentes là, tout au bord de la marge ou à la fin de la phrase, l’infini possible ;
pour que tu entendes la feuille d’un nouveau printemps se déplier sous tes doigts.

Je t’écris pour que ma lettre crépite comme les ailes d’un ange que tu appelles
quand il te semble que tu t’es éloignée de toi-même.

Géraldine Andrée

Les derniers beaux jours

Ce sont les derniers beaux jours
Certes l’on s’attarde
sur la terrasse
avec un livre
et une tasse

Mais une feuille
traverse
la brise
ne laissant
pour seule

trace
que les points
rouges
d’un feu
follet

vite
disparus
pour l’œil
qui les cherche
encore

telle la suite
d’une phrase
effacée
qu’il faudrait pourtant
continuer

Du passage
de la vive
lumière
d’août
il ne reste

qu’une dentelle
de jeune fille
que les aiguilles
des branches
déchirent

Une aile
frétille
avant de prendre
son envol
de la corolle

et sur le chemin
qui nous vient
du jardin
les ombres
se rassemblent

puis avancent
dans une conversation
muette
qui trouble
le cœur

Alors
on raccompagne
l’Ami
pour lequel
dans un ultime

rayon
de soleil
on ouvre
la grille
en lui disant

d’une voix
qui tremble
À demain
sans en être
certain

bien que l’on ajoute
ces deux mots
fragiles
comme
des libellules

au signe
que fera longtemps
de loin
la paume
de la main

Géraldine Andrée

Les lieux qui comptent le plus à mes yeux

Les deux amants

Le silence et la poésie
sont amants
Tout comme
l’amant
le plus tendre
rend l’âme
de l’amante
rayonnante
le silence
allume
des lampes
sur le passage
de la poésie
qui irradie
pour nous
tous

Le silence
écoute
ce que la poésie
lui confie

le point d’une source quelque part
la cascade de notes d’un oiseau
le chemin qui craque sous les pas comme un sablé chaud
le ballet des lumières de l’aube
le tintement de la cloche de cinq heures
le bourdonnement du sang quand la porte s’ouvre
le souffle du chien revenu
les ailes d’une libellule
minuscule virgule
suspendue un instant
sur la phrase du soleil
le vent qui tourne les feuilles
du châtaignier

Et la poésie
rend grâce
au silence
qu’elle accueille
dans l’étoile
de son chant

Que ce recueil
soit l’enfant
de leurs noces

Géraldine Andrée
Extrait du recueil poétique à paraître
Le Bleu de menthe du silence

Elle voulait posséder tout le bleu

Elle voulait posséder tout le bleu

le bleu du monde quand le ciel semble y descendre
le bleu de l’océan sous la terrasse blanche
le bleu des paupières à la naissance
le bleu de la lavande de Provence
le bleu du thym et de la menthe
entre lesquels le sentier s’avance
le bleu des nuits que la fièvre rend ardentes
le bleu d’un beau jour de dimanche
le bleu des cierges dans l’ombre
le bleu des reflets de l’âme lorsque le temps change
comme à travers un miroir qu’une main divine vous tend
le bleu du cri de l’amant
le bleu des ecchymoses contre la bicyclette de l’enfance
le bleu d’une robe qui danse
à la lisière de la forêt d’Amance
ne serait-ce pas celle d’Hortense
qui est pourtant morte depuis longtemps

Mais elle ne pouvait contenir ce bleu immense
entre ses frontières humaines
Son esprit
n’était qu’un tout petit
pays

Alors elle a rempli l’encrier
d’une encre outremer
pour faire de son poème
une embouchure
vers le bleu qui attend
qu’elle s’y baigne
une fois qu’elle aura atteint
ce point
qui s’enfonce
dans l’infini

Géraldine Andrée

Le retour au pays

Comment ai-je su
que j’étais revenue
au pays natal ?

Le chemin
a couru
à ma rencontre.

Le chat
m’a reconnue
et s’est empressé

de me montrer
son ventre
moucheté.

L’herbe
en un murmure
est devenue

tapis
mouvant
pour mes pieds

que la longue
route
avait épuisés.

Le banc
m’a invitée
à m’asseoir

dans le rayon
de soleil
du soir

comme jadis,
dans mon ancienne
vie.

La fontaine
a éclaté
de rire

et m’a dit :
Tu es la fille
de mon chant

et tu vas renaître
en te penchant
sur ma vasque.

Le dattier,
quant à lui,
m’a déclaré

qu’il avait rêvé
de ma bouche
pour y déposer

ses cent
baisers
dorés.

Mais surtout,
j’ai su
que j’étais de retour

lorsque mon pays
natal
est entré

dans mon regard
en me chuchotant :
je peux

me laisser guider
par les pétales
de tes yeux

jusqu’à ton tout
premier
souvenir

qui m’attend.
Enfin, je suis
chez moi.

Géraldine Andrée

Le jardin n’aurait pas été jardin

Le jardin
n’aurait pas été jardin
s’il n’y avait pas eu ta voix
entre les feuilles
qui me disait

Ne reste plus seule
Viens
avec moi
La vie veut
que l’on cueille

au bord du chemin
le serpolet
et le thym
qui ont bien reverdi
après la pluie

Géraldine Andrée

Le jardin dans mes bras

Alors, j’ai voulu prendre tout le jardin dans mes bras :

le noisetier où je me cachais pour me raconter des histoires ;
le muret bordé de mousse rousse ;
la tonnelle étoilée d’oiseaux ;
le lierre grimpant jusqu’aux tuiles des dépendances ;
le mirabellier dont mon père secouait avec un bâton pointu les branches afin de couvrir d’une averse de mirabelles nos épaules ;
la tonnelle où fleurissait la lumière ;
la jument Zaze qui me regardait derrière son enclos ;
les herbes folles entre lesquelles se faufilait le chat sauvage ;
la vasque où nageaient à fleur de silence des poissons argentés ;
l’ombre du chemin qui jouait à cloche-soleil ;
la treille qui prodiguait des grappes de raisin acides ;
le banc de bois où je m’asseyais pour me sécher les cheveux après une grasse matinée ;
le pommier dont les pommes cueillies trop tôt provoquaient des coliques ;
la corbeille de terre qui gardait bien secrets mes cailloux de Petite-Poucette ;
l’eucalyptus gunnii qui allumait pour mes yeux son bouquet de feux bleus dans le soir…

Mes bras d’enfant n’étaient pas assez grands
pour étreindre tout le feuillage.
À côté de ce jardin qui ne pouvait partir avec moi dans la vie,
je n’étais qu’une frêle brindille.
Alors, je me suis résignée
quand la voiture a démarré dans la longue allée
de voir le jardin s’éloigner doucement

jusqu’à devenir un minuscule point vert
qui tremble encore dans ma mémoire.
Mais aujourd’hui, j’ouvre ce large cahier
comme mes bras
et avec un poème à deux strophes
qui prolonge mes mains d’autrefois,
j’étreins le jardin.

Géraldine Andrée

L’expérience de vie qui m’a le plus aidée à grandir

Géraldine Andrée


Extrait de
Quand l’enfance m’a quittée

https://www.goodreads.com/book/show/122893395-quand-l-enfance-m-a-quitt-e

Le Poème

Les hommes croient les poèmes si lointains
qu’ils les oublient
éclats d’étoiles mortes
Mais le Poème est
cette lampe de chevet allumée lors d’une mauvaise grippe
la décoration de Noël dans la vitrine
les pattes d’un faon dans la neige
le pain chaud sorti du four
une tarte aux myrtilles
la première vague des vacances
le peigne d’ébène dans les cheveux
les noix de cajou près de la théière
le dernier slow avant que les lumières ne s’éteignent
les bras de l’amant autour des hanches
l’étreinte jusqu’à la lueur blanche
un cahier dont les pages ont l’odeur des draps neufs
les volutes de la sauge qui brûle
un bain sous la lune
le jardin qui tremble de toutes ses feuilles dans le rétroviseur
un peu de miel quand tu as beaucoup pleuré
la guitare dont les cordes vibrent comme lorsque tu étais enfant
le collant aux reflets de moire que tu enfiles pour ce rendez-vous
la mousse du cappuccino que l’ami t’offre avec un sourire
un timbre ancien comme si le temps t’envoyait des nouvelles de l’aïeul perdu
un micro qui te donne enfin le droit de faire entendre ta voix
Le poème c’est Toi c’est Moi c’est l’Autre
Le rythme de chaque cœur qui bat sur cette terre
L’infini qui touche le monde
Et lorsque Dieu me paraît bien lointain
dans sa demeure profonde
je remplace le nom Dieu par le mot Poème
et voilà Dieu écrit
par la grâce de ma main

Géraldine Andrée

Mon moment chéri

Proposition quotidienne de rédaction
Décrivez une habitude qui vous procure de la joie.

Voici l’un des moments chéris
de ma vie
que je me crée moi-même
et dont la joie
ne dépend de personne,
d’aucune autre
circonstance :

Je laisse infuser
le sachet
de Yoggi tea
au chocolat
dans ma tasse
où dansent
des chats rouges.

Puis j’ouvre
le carton blanc
brillant,
sors l’éclair
au chocolat
que je pose
sur la soucoupe,

décachette
le sachet plastique
qui recouvre
le cahier neuf
dont les pages
se balancent
sous mon souffle

comme autant
de plages
promises
à mon voyage,
change
la cartouche
d’encre

de mon stylo-plume
que je choisis
selon le reflet
de mes yeux
à cet instant précis,
entre myrtille
et prune.

Je bois
la première gorgée
de thé,
glisse
la première
bouchée
de l’éclair

fondant
dans ma bouche,
tel un soleil
qui se couche,
et note
le mot initial
en haut du ciel

que me désigne
la feuille.
Tant pis
si ce moment
chéri
me fait perdre
la ligne

et rend
le lendemain
mes mouvements
plus lourds.
Je garde
une autre
ligne,

chaloupée
et fine,
celle
de l’écriture
qui m’invite
d’un signe
à la suivre

aujourd’hui.

Géraldine Andrée

L’arbre

Le sais-tu
Tu t’es assez repue
de ma sève
pour nourrir
tes rêves
de cimes

Mais j’ai confiance
en ma force
de résilience
Toutes
ces larmes
que tu as fait naître

pour que tu y trempes
tes lèvres
me montrent
dans leurs étincelles
l’abondance
de ma récolte

Je suis devenue
riche
de ma capacité
à grandir
toujours plus
vers le ciel

poussée
par le désir
de dépasser
ton ombre
qui me serre
encore

Géraldine Andrée

Le plat qui me réconforte

Je vais vous confier
le plat qui me réconforte
quand la vie me malmène :

une bonne tartiflette
avec des lardons fondants
et du fromage blond

qui rend
sous les mains
de l’amant

mes hanches
douces
et rondes.

Et quand bien même
je plairais moins,
qu’importe !

L’essentiel est
que je prenne
plaisir

à me consoler
de la vie
et à profiter

de ce que je m’offre
quand celle-ci
n’a rien

à me proposer
sur l’immense carte
de son menu.

Géraldine Andrée

Écris encore

Écris encore
Écris pendant
une minute supplémentaire
Comble avec un mot
l’espace
que tu avais l’intention
de laisser vide
Prolonge l’épilogue
Retarde la seconde
où s’interrompra
le souffle
de la dernière phrase
On ne sait jamais
Il peut apparaître
avant le point
avec sa veste rouge
et ses mains
dans ses poches

près du panneau d’arrivée
juste à temps
finalement
pour l’ultime rencontre
tandis que le train
s’arrête
lentement
ouvre ses portes
et que tu descends
quai A
Écris encore
jusqu’à l’oubli
de cette attente
dont on t’a dit
qu’elle durerait
toute la vie

Géraldine