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Il n’y aura pas d’hiver

Je crois qu’il n’y aura pas d’hiver

car, voyez-vous,

l’eau qui se mêle

au ciel

dépose

à nos pieds

une corolle

de soleil ;

entre les branches,

une abeille

danse

sur un rayon

de silence ;

les points

roux

des baies

sauvages

brillent

au bord

du chemin

et les pétales

de jasmin

exhalent

leur parfum

très près

de nos visages.

Je crois qu’il n’y aura pas d’hiver

car l’ombre

du soir

s’invite tard

sur la terrasse

et le monde

dans sa ronde

d’enfant

annonce

pour le lendemain

une aurore

aussi ardente

que celle

de la veille.

Si Claire

ouvre la bouteille

d’encre,

ce n’est pas pour suivre

la première

ligne

de son cahier

d’écolière

mais pour remplir

tout l’azur

de la page

avec la couleur

qu’elle souhaite

et faire reculer

en un clignement

de paupière

toutes

les lisières.

Il n’y aura pas d’hiver

car nous avons foi

en la feuille

qui recueille

l’étoile

et s’il nous vient l’envie

d’allumer

un feu

après le passage

d’un météore,

ce sera juste

pour éclairer

encore

un peu

nos yeux.

Géraldine Andrée

Le retour

Je rentre dans le poème
comme dans la maison natale
L’écho de mes pas
résonne

dans le couloir
de sa musique
que je garde
en mémoire

jusqu’à la table
familiale
où luit la corolle
étale et blanche

de la nappe
des dimanches
Il suffit
que je prononce

le mot
« Astre »
pour qu’il devienne
une lampe

qui fasse passer
l’ombre
d’un ancêtre feu
devant mes yeux

et que l’armoire
merveilleuse
où je cachais mes rêves
s’ouvre et s’éclaire

Dans ce poème
j’oublie
tous les voyages
aléatoires

de la vie
les chemins épineux
la boue des flaques
la pluie qui me glace

Me voici revenue
au Pays
et lorsque je franchis
le seuil

de la chambre
de l’ancienne
enfance
le poème

dans un bruit
de feuille
détachée
de mon soulier

réveille
ma voix de petite fille
qui me dit
Tu es rentrée

au cœur
de toi-même

Géraldine Andrée

Orsay

Au bout du chemin
qui tremble
dans le soleil,
apparaît
la jeune fille
à l’ombrelle
blanche
dont il me semble
qu’elle m’appelle.

Et je crois
que s’avance
là-bas,
entre les branches,
le point
de couleur
d’une aile
qui descend
ensuite
parmi les fleurs.

Et si je me lançais
à sa poursuite ?
Si j’oubliais
les lampes
du musée
d’Orsay,
la pluie
de novembre
qui m’attend
sur la route
du retour ?

J’entends
que sonne
dans ce clair
matin
de dimanche
la clochette
du portail
qui étoile
de notes
la toile.

Alors,
j’entre
dans le jardin,
telle
une ombre
légère
qui accompagne
la lumière.

Je prends
le chemin
à rebours.
Je salue
de face
la jeune fille
à l’ombrelle
et je m’éloigne,
je disparais
comme une aile
dans l’encre
du ciel.

Maintenant
que plus personne
ne parvient,
ce soir,
à me voir,
j’existe.

Géraldine Andrée


Gentiane

Chaque jour de sa vie,
elle a pris soin du jardin.
Elle s’est penchée sur les jeunes pousses ;
elle a été fidèle au rendez-vous des roses ;
elle a observé l’éclosion des pois de senteur ;
elle a déplié les feuilles pour s’assurer
que l’arbre était vivace ;
elle a noté les couleurs des fruits
et la métamorphose du reflet des légumes
dans son calepin gris.

Elle a rendu la terre douce
en traquant les limaces,
en chassant les insectes voraces,
en repoussant les chenilles,
en désarmant le chardon pugnace
de ses aiguilles,
en écartant les cailloux tenaces
des plates-bandes.

Elle n’a jamais négligé l’almanach
et quand elle ouvrait l’œil au réveil,
elle dirigeait sa première pensée
vers la saison prochaine.
Elle vivait au rythme
des semaisons et des fenaisons.
Ses projets étaient en constante
germination.

Lorsque venait le temps
de la cueillette ou de la récolte,
elle ôtait précautionneusement les tiges,
consciente que son geste
déterminait la chance
de voir la plante
réapparaître
ou non.
Elle respectait ainsi
la moindre racine
invisible…

Elle a pris soin
toute sa vie
de chaque instant de vie
du jardin.
Aussi, quand elle a reçu
un matin,
sous la treille,
un arrêté de la mairie
la sommant de quitter
chaque graine,
chaque fleur
qui, finalement,
lui appartiennent

– elle se souvient de la sonnette
qui a retenti,
stridente
comme la cloche du destin
et de l’accusé de réception
qui tenait,
tremblant,
dans la paume de sa main -,
elle a ressenti une peine
plus profonde
que la terre qu’elle ouvrait
sous la bêche.

Et bien que sa famille
lui ait dit
avec une relative
indifférence :
« Gentiane !
Lâche prise !
Que veux-tu ?
C’est la vie ! « ,
le jardin s’est à jamais
enfoncé
en son âme
comme une épine.

Géraldine Andrée

Je voudrais que ma mère redevienne comme avant

Je voudrais que ma mère redevienne comme avant

exigeante difficile

mais fabriquant des bouquets de fleurs séchées

qu’elle mettait dans mes vases

cousant des jupes et des chemisiers de couleur

faisant courir le fil derrière l’éclat de l’aiguille

s’arrêtant d’essuyer pour écouter

les sonates de la pluie

de Chopin

Ma mère est là et pourtant

elle est absente

car elle vit dans un autre temps

où disparaît la mémoire

Ma mère est là et cependant

je ne la reconnais pas

car elle ne sait plus vraiment

qui je suis

Il n’y a que dans les rêves

où je retrouve ma mère

après l’avoir cherchée 

en suivant

la trace 

ancienne

de mes pas

sur cette terre

Et là

dans cette inflexion de voix

qui est bien sienne

elle me dit 

qu’elle ne laissera pas la vie

l’emmener trop loin

puis elle me parle

du feu des fleurs

de son enfance

J’ai alors la certitude

dans ma solitude

de fille

que ma mère est redevenue

comme avant

ma naissance

c’est-à-dire

une jeune fille 

qui se fait belle

qui attend

qui espère

une joie

que je ne connais pas

Géraldine Andrée

Sans titre

Les enfants couraient si loin
parmi les herbes folles
qu’ils ne pouvaient prononcer
en rentrant
une seule parole.

La corbeille
débordait
de grappes de raisin
couleur
d’ambre

et chacun se rappelait
en son coeur
qu’on était très proche
du mois
de septembre.

Claire
en robe blanche
se déhanchait
sur la terrasse
au rythme du jazz.

Toi, tu suivais,
paupières
mi-closes,
le vol
d’un songe intérieur

et j’ai souvenance
de t’avoir demandé
« A quoi tu penses ? »
Tu t’es contenté
de sourire.

Le sentier
tremblait
à la tombée
du bleu
comme un feu follet

et une voix
a proposé
que l’on reprenne
encore
une goutte de liqueur.

J’ai dit
que je préférais, moi,
du café.
J’espérais
que la nuit

brillerait
de toutes
ses étoiles
pour le retour.
Puis, nous nous promîmes

de revenir
aux prochains
beaux jours.
La floraison
du lilas

nous ferait
sans doute
signe
à la fenêtre
de notre désir,

où que l’on soit.
Personne
ne savait,
je crois,
que tout ce que nous vivions

dans l’infini
présent
de ce soir-là
était pour
la dernière fois.

Géraldine Andrée

L’heure

L’heure se fait soudain plus fraîche
On dirait qu’un rayon pleure dans les herbes
Et au moment où tu remontes ton col
un merle s’envole

vers un peu de bleu qui demeure
plus loin
tandis que l’ombre me cache ton sourire
de la même manière qu’elle efface les fleurs

Géraldine Andrée

Les fleurs de ta chambre

Les fleurs de ta chambre
sont toujours aussi vivaces.
Dans cette demeure
où l’on connaît
les flétrissures
laissées
par le temps
qui passe,
les fleurs
que tu as cueillies
ont gardé
leurs pétales
lisses.
Toi qui te dis
trop vieille,
tu possèdes
à ton chevet
des immortelles.

Géraldine Andrée

Perce-neige

La première
lueur
d’une fleur
perce
la neige


Persévérer
Persévérer
jusqu’à ce que les épreuves
d’elles-mêmes
s’abrègent

Géraldine Andrée

Tu as laissé les choses t’attendre

Tu as laissé les choses t’attendre :

l’aiguille en chemin sur le gilet de laine, les touches qui ont besoin de la danse de tes mains pour allumer leurs notes.

La grande ombre noire du piano se dresse dans l’ombre grise.

Seul le miroir regarde de son oeil rond la page de la partition.

Tu as quitté tout cela de façon si soudaine !

Tu es tombée dans la cave un soir de décembre.

Après un séjour à l’hôpital, on a dû faire ta valise.

J’imagine la fois ultime où un rayon de soleil a doré les objets de ta vie.

Puis, on a fermé les volets sur les futures saisons.

Le silence a recouvert de son grand manteau tous les fauteuils de ta maison.

Parfois, mon songe me mène à pas secrets

vers le cordon délié de ta robe de chambre

posée sur le dossier d’une chaise.

La journée est longue mais sonne toujours l’heure où tu rentres.

Y a t-il vraiment des départs qui ne demandent pas de retours ?

Tu as laissé les choses t’attendre.

 

Géraldine Andrée